IV : Le fantôme

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La sonnerie du téléphone de Neda se répétait. Elle ne s'en rendit pas compte tout de suite, prise dans un sommeil profond. Mais au bout de la cinquième alerte, elle sortit de ses rêves.

Elle s'étira de tout son long, grognait déjà des mots intelligibles. Les cours devraient commencer plus tard que ça. Huit heures, c'était trop tôt pour une grande dormeuse comme elle. Elle resta immobile quelques minutes, constatant comme tous les matins que son lit se faisait bien plus chaud et confortable en matinée que le soir lorsqu'elle tentait de dormir.

Elle se résolut enfin à ouvrir les yeux, et saisit son téléphone dans l'intention de couper son alarme qui sonnait toujours. Mais elle se rendit compte qu'elle ne s'était pas réveillée à cause de son alarme.

- Hein ?!

Elle se redressa d'un coup.

« Qui est le petit con qui ose me réveiller à cinq heures du matin ? »

Elle déverouilla son téléphone pour accéder à sa messagerie. Numéro inconnu. Oh, si c'était un lourdeau qui avait récupéré son numéro pour la draguer, elle allait...

Elle n'allait rien faire. Ce n'était pas un lourdeau.

→ Numéro inconnu : Hi, sweetheart. Ca fait un moment qu'on ne s'est pas parlé toi et moi.

→ Numéro inconnu : En toute honnêteté, je n'espère pas que tu vas bien. Mais je ne me fais pas de soucis, ça n'ira bientôt plus ; tu seras ravie d'apprendre qu'on m'a conté multitude d'éléments intéressants à ton propos, darling !

→ Numéro inconnu : Par exemple, on m'a parlé d'une dispute avec Jade. Tu t'en souviens, honey ? Te connaissant, tu n'as pas envie que ça se répète. Ca attirerait l'attention sur toi. Oooops... j'ai un peu de mal à garder ma langue dans ma poche.

Cachée sous sa capuche, les yeux baissés sur son téléphone, Neda trainait sur un réseau social. Elle ajoutait un « j'aime » à une publication sans même vraiment faire attention à ce qu'elle affichait, puis passait à la suivante. Elle tentait d'oublier le bruit autour d'elle, essayait de faire abstraction de tous ces élèves autour, ses camarades. Des personnes de son âge qu'elle voyait cinq jours sur sept dans la semaine. Ils restaient des étrangers à ses yeux. Elle connaissait le nom de la plupart des élèves de Première. Mais au-delà de leurs noms se trouvaient les rumeurs. Murmurs glacés à l'oreille, lames acérées dans la poitrine.

Des rumeurs, il y en avait toujours, partout et sur tout. Mais là où elles se révélaient les plus destructrices, c'était dans le monde compliqué des adolescents, encore manipulables et influençables. Ils croyaient tout ce qu'on leur racontait !

Lorsque l'un des leurs recevait une information croustillante, ce chanceux s'empressait de la répéter. La nouvelle venait par petits bouts, quelques perles de pluie. Encore, de plus en plus vite, toujours plus nombreuses, les larmes du ciel s'accumulaient jusqu'à noyer la victime de ces rumeurs.

L'histoire était amplifiée, déformée. On la décortiquait, la découpait à notre bon vouloir, on y ajoutait notre petite touche personnelle et des commentaires. L'information circulait d'une bouche à une oreille, d'un bourreau à un autre. Et en à peine quelques heures, l'entièreté de l'établissement avait connaissance de l'histoire, à chacun sa version de l'affaire. Le plus beau, c'était que personne ne semblait se rendre compte de l'écart entre la réalité et ce qui était prétendu.

Ces rumeurs étaient destructrices, Neda le savait. C'était pour cette raison qu'aujourd'hui, demain, après-demain et les jours suivants, elle devrait se faire discrète - comme un fantôme. La dernière chose dont elle avait besoin, c'était de plonger pour une seconde fois au cœur de commérages. Quelqu'un savait tout et possédait la possibilité de la mettre à exécution.

TOUS LES EXQUIS DÉSASTRES DE CE BEL ENFEROù les histoires vivent. Découvrez maintenant