Chapitre 3 : Des cieux déchirés vient son courroux.

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Le vent soufflait comme un démon à l'extérieur de l'infirmerie de fortune de Darse. Le feu des chandelles ne cessait de vaciller dangereusement, faisant craindre qu'elles ne s'éteignent à chaque instant. Le feu de l'âtre, lui-même, résistait vaillamment aux assauts des bourrasques qui s'engouffraient dans la cheminée. Dès le départ des troupes armées, menées par le commandant Cullen Rutherford, les habitants, pèlerins et autres pauvres hères, avaient trouvé refuge dans la Chantrie. Malheureusement, la vieille dame de pierre n'avait bientôt pu contenir le fléau des gens qui cherchaient abri en son sein.

Ce fut ainsi qu'une partie des réfugiés quittèrent le sanctuaire avec ceux gens qui nécessitaient des soins. La cohue avait été telle qu'on ne put éviter les poussées et les coups perdus, causant des dommages aux uns et aux autres, avec heureusement peu de gravité. Parmi eux, Violine était aux côtés d'une femme hurlant à la mort après son mari disparu. Elle était sur le point de donner naissance. Dans le flot sans forme de ses paroles, Dame Trevelyan avait vaguement compris que le père de l'enfant à naître était templier et qu'il s'était rendu au Conclave.

À trois ! Poussez ! lança Violine haut et fort en posant une main sur le ventre arrondi par la grossesse de la jeune femme.

Ses mains étaient déjà poisseuses des fluides corporels de celle qui se battait désormais pour donner la vie et conserver la sienne. De petites boucles noires frisaient sous son front couvert de sueur. S'il faisait froid dehors, si certains grelottaient et se collaient aux sources de chaleurs, Violine, elle, ne le ressentait pas. La peur lui enserrait les entrailles. Ses traits étaient durs, elle masquait aussi bien que possible sa crainte de perdre l'un des deux êtres dont elle était responsable.

Vous êtes sûre de ce que vous faites ? lui demanda l'alchimiste avec qui elle avait quitté la Chantrie.

Lui-même n'en menait pas large, mais peut-être encore moins qu'elle ! L'angoisse dévorait ses traits pourtant rudes et froids quelques heures plus tôt. Violine lui adressa un regard à la fois interrogateur et sévère, tentant de lui faire clairement passer le message que ses lèvres vinrent ensuite délivrer :

Voulez-vous prendre ma place, Adan ?

L'alchimiste blêmit, ses mains se mirent à trembler. Bien sûr que non, il ne voulait pas !

Personne ici ne voulait prendre sa place ! Ils étaient tous pétrifiés comme des statues de glace, se tenant les mains et priant ensemble le Créateur. Pourquoi priaient-ils ? Pour la Divine qui avait sûrement succombé ? Pour que le Créateur leur pardonne leurs péchés et répare le trou qui ouvrait désormais les cieux ? Pour que cette femme soit délivrée et son enfant en bonne santé ? Si l'hébétude et l'incompréhension étaient les sentiments qui parcouraient le monde, la mage, elle, avait décidé de réagir. Et bien qu'en silence, elle priait également, c'était uniquement pour cette dernière option. Pour l'heure, sa seule préoccupation était tournée vers la femme enceinte.

Alors rendez-vous utile ! Je vous ai déjà demandé de l'eau chaude et des linges propres. C'est tout ce qui m'importe en ce moment !

Elle abandonna le regard sombre d'Adan qui, ramassant son courage vacillant, s'en alla prestement chercher ce que Violine lui avait demandé. Une vieille femme se leva du troupeau agglutiné près de la cheminée, chancelante. Tout en elle respirait la sagesse des anciens mais aussi la bienveillance. Dans un silence religieux, elle vint prendre la main de la future mère qu'elle pressa doucement. Caressant le front brûlant de la suppliciée, elle lui murmura quelques paroles inaudibles aux oreilles de la mage. La sage-femme improvisée croisa le regard de la douairière un court instant ; un instant intense. Un signe de tête fut simplement échangé, un message sans mot transmis. La voix de Violine trancha l'air alors aussi cinglante qu'un coup de tonnerre dans le calme des montagnes :

Dans l'ombre de l'InquisitriceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant