HAMLET : O fuck.
(Exit HAMLET. )William Shakespeare
A son réveil, l'atmosphère avait changé. Le fracas ahurissant de ce face-à-face improvisé avait cédé place à un silence de plomb, qui résonnait de ses notes muettes contre les sombres parois de sa prison. L'air glacial qui emplissait la pièce s'immisçait depuis une petite lucarne de verre bleuté, seule lumière entre ces 4 murs suintant d'humidité... De longues traînées de fluides s'y étendaient d'ailleurs, serpentant entre les fissures et les reliefs qui leur barraient la route. Et parfois, brisant sans vergogne le calme plat et presque harmonieux de ces vieilles pierres noircies par le temps, une rose se dessinait. Ses superbes pétales écarlates zébraient avec stupre l'immense surface noire qui s'étalait sous leurs pieds, et recouvraient de leur voile rougeoyant les rares tâches qui subsistaient encore.
Encore endormie, la jeune femme sentit le goût acre de la bile lui brûlait la gorge en les apercevant. Ses beaux yeux opales s'étaient écarquillés, suivant avec une peur non dissimulée ces peintures abstraites et leurs présages de mauvais augure... Pourtant, malgré les multiples témoignages de souffrances qui recouvraient inlassablement les murs du sous-sol et la pénombre presque spectrale qui y régnait, nul instrument horrifique ne se dissimulait, ses crocs métalliques enserrant encore un infime morceau de chair sanguinolent dont les gouttes s'écraseraient sur le sol en une mélodie aussi glauque que régulière... Ses poignets, eux aussi, ne se retrouvaient entravés que par cet engourdissement devenu familier, lui évoquant presque les épaisses menottes qui martyrisaient autrefois les chevilles des rameurs grecs...
A vrai dire, la prisonnière était allongée à même le sol, sa peau partiellement dénudée en contact avec la fraîcheur du béton. A quelques mètres de là, son pull pendait mollement sur le dossier vermoulu de l'unique chaise de la pièce, les manches dans le vide et le col encore trempé de sueur. Détournant les yeux de la danse hypnotiques des traces sur les murs, La Tâche laissa un instant errer son regard, avant de le poser avec espoir sur la poignée métallique de la porte. Close, évidemment. Cadenassée à n'en pas douter par un de ces imposants outils en métal, richement décoré et étrangement dépareillé en ce lieu qui n'avait rien d'idyllique. Sans prévenir, une nostalgie inattendue vint frapper à la porte de son cœur, et la jeune femme se remémora avec peine sa conversation matinale.
Un appel, vers neuf heures et demie. Sa meilleure amie, qui d'autre ? On était samedi. Dehors, le soleil mordait de ses dents acérées le premier passant trop optimiste, et les rues désertes constituaient désormais le terrain de jeu des rares enfants encore présents à York Shin. Elles qui avaient prévu d'écumer les magasins, ce beau temps printanier ne les arrangeait pas du tout ! Mais après quelques minutes de paroles et de négociations, on trouva enfin un compromis : le musée d'art, en bordure du centre-ville, seul Eldorado pour les plus de quinze ans en ces jours de chaleur infernale. Les deux amies étaient donc parties tôt le matin, un plat spartiate au fond de leur immense sac en toile mais le sourire aux lèvres.
L'une était rentrée en larmes dans le chic appartement qu'elle occupait à Ikebukuro, une dizaine d'heures auparavant, avant de s'écrouler dans les bras de son « meilleur ami » du moment.
L'autre n'avait donné aucun signe de vie, presqu'une journée entière depuis qu'on l'avait vue disparaître dans les bras d'un des criminels les plus recherchés du moment.
Un otage. Le mot lui piquait la gorge, heurtant ses papilles comme un piment d'Espelette un peu trop puissant pour elle. Sa signification lui donnait la nausée, et les cinq lettres qui la composaient tournoyaient d'un air narquois au-dessus de sa tête, l'invitant silencieusement à lever les yeux.
Un otage. Comme dans les films, ces thrillers de seconde zone qu'elle regardait parfois avec ses amies, engloutissant avec gourmandise un paquet de pop-corn avant de regretter avec amertume d'avoir appuyé sur « Play ».
Un otage. Comme dans ces livres qu'elle osait à peine regarder, parfois posés en évidence sur l'étagère d'une librairie, faisant de l'œil aux amateurs de cadavres dépecés au clair de lune ...Un otage.
Sur son T-shirt, une tâche bleue persistait.
Dépliant avec souplesse ses jambes frigorifiées, la jeune femme fit craquer ses os d'un seul geste anxieux. Son regard se posa enfin sur les étranges marquages qui brillaient sur le sol, sous la pâle lumière que dispensait encore le soleil à cette heure tardive. Marbrant le gris froid du béton, des milliers de traits blanchâtres, fins et poussiéreux, semblaient traduire un langage muet et disparut du quotidien des mortels. Chacun d'eux possédait une courbe particulière, une épaisseur plus ou moins marquée, une hésitation ou même un rire transparaissant sans peine à travers cette œuvre immaculée. A force de patience, cet artiste un peu fou avait tracé une poignée de figures familières, d'un trait dément et pourtant limpide... Ici, une plume. Là, la membrane effilée qui la soutenait. Petit à petit, la craie avait donné naissance à deux ailes angéliques d'une pâleur quasi spectrale, miraculeusement étendues sur le sol. En leur centre, la forme d'un corps se détachait, définit avec précision par ces centaines de petites particules blanches et volatiles.
Désormais debout au centre de la pièce, la jeune femme épousseta ses habits et retrouva avec délice la laine rassurante de son chandail, toussant sous les assauts répétés de la poussière sur ses poumons. Avançant de quelques pas, elle entreprit d'avertir au plus vite ses ravisseurs de son récent réveil. Car après y avoir songé une minute, aucun autre choix ne se présentait à elle.
Seule, il lui était impossible de sortir d'ici.
Seule, la faim finirait par la rattraper.
Seule, toute chance de sortir un jour était proscrite...Et si les coups administrés avec force contre le fin panneau de bois manquèrent d'en briser les lattes, les cris aigus et emprunts d'une fureur grandissante eurent quant à eux raison de la patience (ou du moins des tympans) de la Brigade, et des pas empressés se firent bientôt entendre. Aussi rapide que féline, une silhouette sombre dévalait sans hâte les quelques marches de pierre qui se présentait sous ses pieds.
Renonçant finalement à tambouriner contre la porte, la blonde sentit avec soulagement son cœur ralentir, tandis que le sang calmait la course effrénée qui lui battait les tempes. Une voix s'éleva tout à coup dans les airs, et la plus jeune posa prudemment sa tête contre le bois. La voix s'arrêta un instant, puis repris, plus bas. Rauque, le baryton qui la possédait cherchait sans peine à y glisser une légère note d'amusement, seul accord majeur du beau requiem qui semblait s'échapper d'entre ses lèvres...Mais quand enfin la jeune femme s'apprêta à ouvrir la bouche, une clé tourna dans la serrure.
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[H x H] 24h Left
FanficChaque année, le musée de York-Shin City accueillait près de 3 millions de visiteurs. Parmi les touristes ayant fait le déplacement en cette chaude après-midi d'été, Inuzuka Sayoko, jeune étudiante fraîchement débarquée de Tokyo, arpentait avec pass...