Angarad accepta d'un hochement de tête l'invitation à aller manger, plongé dans ses pensées.
Il devait reconnaître que ça lui avait fait du bien d'aller nager. La démarche de Keridan était aussi sincère que naïve, et presque touchante. Il ne s'était pas attendu à ça de la part de cette espèce d'ermite tout en muscle et en tatouages.
Il était plutôt rassuré de savoir que son hôte ne lui en voulait pas. Il ne savait pas combien de temps il allait rester coincé sur ce caillou, alors il préférait autant que Keridan ne passe pas toute la journée à le fuir et faire la gueule. Surtout maintenant qu'il était certain de ne pas le laisser indifférent.
Anragad se passa la langue sur les lèvres. La sensation de sa bouche contre la sienne lui manquait déjà. Il avait très, très nettement senti l'érection de Keridan quand il l'avait embrassé et si la tension du Thalaséen était vide redescendue, Angarad n'allait pas laisser passer ça. Il ne savait pas depuis combien de temps Keridan vivait reclus sur son île. En revanche, lui, il savait très exactement depuis combien de temps il ne s'était pas envoyé en l'air : depuis beaucoup trop longtemps.
Sous sa cahute, le Thalasséen leur servit un nouveau mélange de fruit et de poisson qu'il avait fait mariner dans des bocaux de verre. Après leur long trajet à la nage, Anragad avait vraiment faim et mangea avec plaisir. Il se sentait encore tout cotonneux, comme s'il n'avait pas vraiment cessé d'être bercé par le roulis des vagues même une fois sur la terre ferme. C'était étrange, mais pas désagréable.
Keridan ne chercha pas à lancer une nouvelle conversation pleine de bons sentiments. En contrepartie, Angarad garda pour lui toutes les questions déplacées qu'il avait envie de lui poser sur son passé. À la place, il se contenta de contempler les muscles de ses bras rouler sous sa peau sombre à chaque fois qu'il lui servait à manger, ou bien les fossettes au coin de ses joues quand il souriait. Et Keridan souriait beaucoup trop souvent pour son propre bien.
Angarad regretta de ne pas avoir de moyens de contacter son équipage. Il était partagé entre l'envie de se tirer d'ici au plus vite, avant que la milice orbitale ne vienne l'embarquer, et celle de prolonger un petit peu plus que nécessaire son séjour forcé sur cette île pour avoir tout le temps de faire intimement connaissance avec son unique habitant.
C'était bizarre de savoir qu'ils avaient tous les deux subis les mêmes épreuves. Loin de le refroidir, Angarad était en train de réaliser que cette idée ne rendait Keridan que plus attirant encore.
Tout le monde savait quel genre de créatures avaient été conçues dans des labos clandestins pour peupler les bordels du système solaire. Des morceaux de viande dociles, réactifs, qui ignoraient la pudeur et réclamaient du sexe comme d'autres réclamaient à manger et à boire. Ironiquement, leur arrivée sur le marché avait conduit à saturation un secteur que tout le monde croyait inépuisable. Les groupes criminels s'étaient effondrés, les réseaux clandestins avaient éclaté, la fédération avait achevé d'enterrer les derniers survivants de l'économie obscure qui gangrenait jusqu'à présent leur partie de la galaxie.
Keridan ne pouvait pas ignorer tout cela, lui qui avait été une autre victime des trafiquants d'esclaves. Il ne pouvait pas ignorer la nature de son hôte et ce dont les créatures comme lui étaient capables. Pourtant, Angarad avait le sentiment qu'il n'essayerait pas d'en abuser. Et ça lui plaisait, parce qu'il n'avait que trop rarement l'occasion de baiser avec des types comme ça.
Des types biens.
Il n'allait pas rater cette occasion. Et puis, ce n'était pas comme s'il avait mieux à faire.
Keridan ne lui avait pas proposé de l'accompagner pour explorer la surface de l'île et ne semblait pas disposé à le faire. Il n'avait pas vraiment l'air intéressé par ce qu'il se passait sur la terre ferme. C'était plutôt logique, pour un Thalasséen. Ils ne sortaient de la mer que pour exploiter les ressources qui leurs manquaient sous l'océan, un peu comme des pêcheurs inversés.
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Naufragé
Science FictionUn vaisseau fend le ciel au dessus d'une île paradisiaque. Keridan, son unique résident, assiste au crash et porte secours au pilote naufragé. Comme les autres Thalasséens, le peuple des mers, il devrait se méfier des étrangers mais pour lui, ce con...