Je vivais alors dans ce que vous appelleriez une décharge. Des murs à moitié détruits, dans une grotte souterraine, une fenêtre dont il manque le verre, ouverte sur des ténèbres, un sol boueux et odorant, des détritus partout dans les recoins, des carcasses d'objets inutilisés depuis des lustres. A vrai dire, le confort matériel n'importe que peu à ma race et cette description de mon chez-moi pourrait correspondre à celle de la majorité des habitations des membres de mon espèce. Quand je vous disais que nous étions décrépis... J'y vivais avec mon époux, depuis fort longtemps. Nous étions tombés dans un genre de routine mais nous aimions encore tendrement, avec les sentiments propres à mon espèce, qui sont peu puissants comparés à ceux des humains – je le sais, je l'ai vécu. Nous nous contentions alors de survivre. Pas simplement mon époux et moi-même mais l'entièreté de mon espèce. Nos journées consistaient en tout et pour tout à nous nourrir faiblement et attendre le prochain Conseil de la Terre qui nous priverait d'un peu plus d'espace, prouvant encore une fois notre décadence. Je n'aimais pas cette situation mais il ne me serait jamais venu à l'idée d'investiguer sur la cause ou de chercher à renverser la tendance. Nous sommes une espèce flegmatique et fataliste. Ou du moins, nous le sommes devenus depuis si longtemps que ce trait est désormais ancré dans nos gènes.Un jour, mon époux et moi-même avons été attaqués. Purement et simplement. Nous n'en avons pas cherché la cause, nous nous sommes juste enfuis, apeurés. Notre espèce est faible face aux monstres qui peuplent le cœur de la Terre. La surprise et la peur nous ont amenés à fuir hors du territoire alloué à notre race. Et nous sommes arrivés chez les humains.
Une de nos principales habilités est celle de changer de forme. Aussi fut-ce mon réflexe de survie en parvenant dans une ruelle sombre. Je tombai sur une espèce vivante de ce monde et pris sa forme. Je savais que nous n'étions pas connus et sentis instinctivement que ma forme naturelle pourrait me causer du tort. Effrayée, je fuis. Sous cette forme chétive, je courus sur quatre pattes sans me soucier d'où j'allais, simplement effarée. Dans cette fuite aveugle, je perdis ma moitié mais ne m'en rendrais compte que plus tard. Je ne sais exactement comment je parvins là, peut-être cette nouvelle forme m'avait conféré un instinct qui m'y guida, mais je me rendis dans une habitation humaine. Là, essoufflée, je me cachai et repris mon calme naturel, dégoûtée par la faiblesse de la forme que j'avais – bien involontairement – choisie.
Lorsque je me sentis mieux, je pris connaissance de mon environnement. Les ténèbres qui régnaient n'étaient pas une gêne pour cette forme mais l'endroit était simple. Un sol de bois, un mur sur ma gauche, plus clair. Derrière moi, le plafond n'était pas droit et tombait régulièrement jusqu'au sol. A ma droite et devant moi, les murs étaient plus éloignés, me laissant présager qu'il y avait matière à explorer. Je vis un rai de lumière et m'en approchais. L'embrasure d'une porte me dévoilait en un trait vertical les premiers humains que je vis. Dans une pièce plus grande, toujours sombre quoique moins que la pièce où je me trouvai encore, il y avait deux humains. Je n'en avais jamais vu mais c'est un savoir que je possédais tout de même. Mon regard les fixa avec surprise.
Il y en avait un que je ne voyais guère, seule la tête dépassait d'un meuble. Un autre être était sur ses pattes arrière et poussait parfois des piaillements. Les deux fixaient un objet, origine de la lumière de la pièce, que je vis à travers le meuble sur lequel était assis le premier humain. Il y avait une image qui changeait sans arrêt et produisait du son.
Un déclic se produisit dans ma tête. L'humain était assis sur un canapé et ils regardaient la télévision. Je pris un instant pour me demander, éberluée, d'où je tenais cette connaissance. Je n'avais jamais utilisé de tels objets. Par contre, j'en avais vu dans les autres habitations que j'avais visitées dans ma vie. Je n'avais jamais réalisé que c'étaient des objets des humains. Que faisaient-ils chez nous ? Je crois que c'est la surprise qui fit produire à la forme que je portais un son. Un bruit aigu pour mes oreilles sensibles. L'humain debout se tourna aussitôt vers moi tandis que l'autre – qui était en fait bien plus grand – se levait, alerté. Le petit s'avança vers moi, avec un ton de voix que je ne sus interpréter mais qui m'effraya.
Je reculai précipitamment, louant l'agilité et la discrétion de cette forme, et m'enfonçai dans les ténèbres. Le petit humain passa la porte et me chercha du regard. Je reculai encore, me rapprochant du plafond pentu dans mon dos... Un escalier ! Maintenant, je reconnaissais la forme si caractéristique des marches. L'autre chercha un moment, je sentais sa perplexité, avant de se détourner. Lorsqu'il fut parti, je réalisai que la forme que je portais avait manifesté sa terreur en arrondissant le dos et en dressant son poil dans tous les sens. Je m'en rendis compte lorsque je sentis mon échine se lisser lentement. La curiosité remplaça la peur.
Les humains étaient une espèce très intrigante pour moi. Je n'avais jamais vu d'autre être vivant que ceux de ma race et deux-trois qui toléraient les profondeurs où se terraient les miens. Ils m'étaient d'autant plus curieux que je les savais à l'origine de la réduction de l'espace qui nous était alloué. Je savais qu'ils se développaient et étaient doués de quelque chose qui nous faisait cruellement défaut. Je voulais comprendre quoi.
Aussi, sous ma forme faible, je me ré-avançai vers les deux humains pour les observer. La télévision continuait de diffuser des images qui, semblait-il, était captivantes. Je ne comprenais rien de ce qu'elle montrait ou ce qu'il se disait. Pourtant, je restai là longuement. Les deux finirent par bouger et, en restant cachée, je les suivis. Le grand humain accompagna le plus petit qui s'allongea dans un lit, en haut de l'escalier. Ils discutèrent et se touchèrent avant que le grand s'en aille, éteignant la lumière. Il s'enferma dans une salle et fit couler de l'eau sur lui avant d'aller également dans un lit. Tout devint calme. Ils dormaient. La voie était libre pour que j'explore.
Je ne savais toujours pas quelle autre forme adopter. J'avais froid, mais je commençais à me sentir à l'aise. Le froid n'est pas une sensation familière à mon espèce, mais ce corps le ressentait. Sans m'en préoccuper, je redescendis et visitais l'endroit, commençant par explorer la pièce avec la télévision et le canapé. Cette forme était dotée d'un bon odorat, réalisais-je en sentant de la nourriture, dans une autre pièce. Ce fut ma prochaine destination et j'en profitais pour me nourrir.
Une fois que j'eus tout observé, allant même jusqu'à me pencher sur les humains pour mieux les détailler – cela effraya ma forme, mais je savais que je pourrai m'enfuir si jamais quelque chose se produisait –, je me sentis seule. Alors seulement, je me rendis compte que mon époux n'était pas avec moi. Cela m'attrista, je m'inquiétais pour lui également. Mais il était fort capable de se débrouiller seul et je voulais définitivement profiter de l'occasion pour en apprendre sur les humains. C'est pourquoi je passais du temps à les observer.
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Intra-terriens [terminé]
Short StoryDans notre Terre existe une espèce dont vous, humains, n'avez jamais entendu parler. La mienne. Notre déchéance a débuté il y a si longtemps que nous ne sommes plus qu'une espèce passive qui se laisse détruire petit à petit. Jusqu'à ce jour où, chas...