Un roseau dans une société de maigreur maladive

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En média Athéna

" Encore une fois aujourd'hui, j'ai dû aller chez cet alambiqué de médecin pour y amener Athéna. Il a regardé vite fait la cheville foulée de ma frangine, a tâté le bleu qui la couvrait et a prescrit d'un air distrait des antibios répugnants et du repos. Puis il m'a fixé longuement sous les yeux étonnés d'Athéna et a avancé sa main poilue aux énormes veines bleues - un peu semblables à des gros vers de terres indigos - vers mon ventre. J'ai écarquillé les yeux mais déjà il avait attrapé un bout de graisse mate qui constitue mon petit bidou et appuyait dessus.

- Athéna, il va falloir éviter de devenir comme Diane hiiiiin ? Tu es à l'âge où ton corps se forme hiiin Il faut que tu es de jolies formes hiiiiin ? a-t-il dit en dévoilant des canines pourris et en plantant son regard sadique dans celui mauvais qu'avait ma sur. "

J'arrêtai ma lecture et réfléchit quelques secondes. Cette blessure à la cheville, je m'en souvenais. Ma sœur se l'était faite lors de sa cinquième année de rugby. Donc cela voulait dire qu'elle avait à peu près huit ans lors de cette visite. Par conséquent, j'avais donc à peu près quatorze ans lorsque j'avais rédigé ces mots.

" Alors que je retenais mes larmes et mes envies de meurtres, ma frangine s'approcha du médecin, et, pinçant son large ventre, blanc et flasque, elle s'exclama avec sérieux:
- Il va falloir éviter de devenir pire que ça hein? C'est pas que c'est moche, mais un peu quand même. Et puis vous risquez un ventre de femme enceinte à ce niveau de consommation de bière !

J'étouffai un petit rire tandis que Athéna, très digne, partait du cabinet en m'emportant à sa suite."

J'eus un petit rire. Ma frangine, posée sur le fauteuil à côté de moi, me demanda la raison de mon hilarité. D'un mot, je lui fis se souvenir de cet événement et elle joignit son rire au mien.

Je la regardai quelques secondes, appréciant ce sourire étincelant qu'affichait Athéna tout le temps, ou presque. Ses yeux gris étaient brillants de joie, quelques mèches teintées de bleu s'échappaient de son chignon lâche qui retombait mollement sur sa nuque fine.

A mon inverse, ma frangine avait hérité de la finesse et de la blondeur de son Suédois de père. Ainsi, elle paraissait frêle. J'étais le chêne solide et fort, plein d'énergie et Athéna était le roseau souple et gracile.

Mais depuis quelques temps, sa minceur m'inquiétait. Elle ne mangeait plus, avait changé trois fois la taille de sa garde robe, et mettait en permanence des pulls amples qui peinaient à dissimuler ses épaules rachitiques et sa maigre poitrine. Ses jambes, bien qu' immenses, paraissaient encore plus décharnées qu'avant. Ma frangine sombrait peu à peu dans l'anorexie et ça me faisait flipper...

- Tu lis quoi Dianou ? s'enquit ma petite sœur.

J'hésitai à lui répondre et finis par esquiver la question en
l'interrogeant sur le nouveau lycée où elle allait faire sa rentrée dans quelques semaines. Athéna nous avait rejoint à Angoulême, la cité de la BD, où elle allait intégrer une école d'art.

Cela faisait quelques années qu'elle avait monté un petit groupe de tagueurs hors la loi qui s'échinaient à rendre couleur et magie aux vieux murs des quartiers abandonnés.

Athéna était une artiste du haut de ses dix sept ans. Avec quelques bombes de peinture, elle avait dressé le portrait de femmes célèbres : Simone Veil, Flora Tristan, Olympe de Gouges, Xiu Zetian, Bandana Chiva, et autres dames illustres.

Quelques partisans de son groupe de tag l'avaient suivis ici, et d'autres comme César et Naomi allaient la rejoindre. Bref, elle n'avait donc pas tout abandonner en décidant de venir ici. Elle y gagnait même au change.

Je me demandai soudain, si la mort de ma mère n'était pas une raison de la rechute aux enfers gouvernés par une balance de ma frangine. Je n'avais jamais compris quel mécanisme étrange la poussait à s'affammer.

Lorsque qu'à quinze ans, elle avait fini à l'hôpital, nourri par des perfusions, elle avait tenté de me décrire ce qui passait dans sa tête quand elle s'empêchait de manger.

Les yeux éteints, elle avait dépeint ce sentiment de pouvoir qu'elle ressentait quand elle contrôlait ce qu'elle mangeait. La satisfaction qui la prenait quand elle voyait qu'elle logeait dans des vêtements achetés une ou deux tailles trop petites. Les photos des mannequins qui posaient pour les pubs, dans les magazines. Si minces, si belles... Aucune n'avait un vrai embonpoint. Une femme grosse dans le mannequinat était encore plus rare qu'une femme issue d'ethnies différentes...

Les remarques de ses "potes", aussi, qui avaient encouragés sans le savoir cette folie avec leur jalousie. " Comme tes jambes sont longues et fines... Je tuerai pour avoir les mêmes ! ". " Tu as de la chance d'avoir un ventre plat... ". " Tu as minci, ça te va bien !". " J'ai l'impression que tu attires encore plus qu'avant, le regard des garçons! ".

Et pour attirer le regard des garçons, elle l'attirait. Avec ses cheveux blonds, ses pommettes hautes et saillantes, ses grands yeux gris ambrés entourés de longs cils noirs, ils finissaient forcément conquis de toutes façons, même avant. Mais lors de cette année de maladie, ce n'était plus son visage angélique, considérablement amaigri, qu'ils regardaient, mais ses jambes, son ventre, ses fesses, ses seins...

À cette époque, ses yeux avaient perdu leur lueur, son visage était fatigué, des cernes marquaient son regard, son teint paraissait grisâtre, presque couleur de cire fondue. Alors les garçons, je ne les jugeai pas. Pendant cette période, Athéna n'avait plus que la grâce et l'élégance innée qui la caractérisait déjà avant, son visage n'avait plus aucun attrait.

Alors pas question que ma frangine retombe dans l'anorexie comme avant. Je ferais tout pour que ça n'arrive jamais.

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⏰ Dernière mise à jour : Aug 22, 2019 ⏰

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