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Entouré d'un imperméable gris, le revolver tapant contre la cuisse quand tu marches, tu rejoins tes compagnons, dans la fraîcheur du matin. Tu reçois les informations de la température mais ne ressens pas le froid. Le vent ne s'est pas levé, pas assez pour que ce soit perceptible. Il devrait augmenter au fur et à mesure que tu t'éloignes, tout comme le sable. Tu es nu sous ce manteau, qui sers à porter ton outil de mort, à ne pas déranger les humains et à limiter le risque que les minuscules grains de sable ne rentre dans ton corps. Aujourd'hui tu vas encore t'ennuyer à faire vivre le système en faisant dé-vivre les derniers hommes entassés dans ces immenses immeubles. Tu trouves ça lassant mais comprend les enjeux. Certains s'amusent avec eux, leurs font des discours, leurs révèlent la vérité ou les tuent de façons autres. Tu trouve ça déshonorant pour les Ouvriers.

L'aube se lève, la couleur du ciel se confond avec ta peau lisse. Tu arrives à l'immeuble semblable aux autres. Tu es à 89% de batterie, le trajet a été long. C'est un immeuble remplis de personne typés asiatiques comme le dit l'inscription à l'entrée : "Quartiers chinois". Les autres sont déjà là, t'attendaient pour se partager les étages. Vous rentrez, tu les suis. Vous descendez à la cave pour vérifier qu'il n'y a personne, regarder si il y a tout les livres. Et bien sûr non. Un livre se trouve au 148e. Vous prenez aussi en note le compteur du distributeur de joints : "32 759" apparait devant vos yeux dans un petit cadre bleu. Il faut qu'il soit rempli, vos sauvegardes automatiques en informeront le Centre. Vous rejoignez le rez de chaussée. Deux par deux vous prenez une limite d'étage. Tu t'occupes des derniers : à partir du 147eme jusqu'au 197eme à deux. Tu es avec quelqu'un de calme, un nouveau. Il ne fera rien d'extraordinaire. Tu éprouves un petit pincement au cœur, faux dans ton organisme mécanique, lorsque les autres plus imaginatifs partent sans que tu aient pu savoir comment ils allaient procéder. Vous partez en dernier, empruntant l'ascenseur seulement utilisable par les gris. 

Vous montez de plus en plus vite dans cette capsule couleur peau. L'ascenseur s'arrête dans un bruit métallique. Tu sais qu'ils connaissent ce bruit. Imagines : Une immense salle, des bureaux vides, certaines tête se relevant, repartant vite au sol, un murmure suivant chaque apparition, les yeux fermés tu connais cette vision monotone de faucheur. Tu entends une agitation, un objet lourd qui tombe au sol, ouvres vivement les yeux. Ils sont là, tous devant vous, debout, le regard fixés sur vous, hypnotisés. Les yeux avides de cette mort que vous vous deviez de leur offrir. Des sourires qui s'étirent mais qui ne s'ouvrent pas. Des regards plongés dans les tiens, impatients. Tu ne t'attendaient pas à ça. L'autre encore moins. Ils sont là devant vous, les uns sur les autres, mais rien ne bouge, comme si le temps s'était arrêté. Un chuchotement s'élève pourtant du troupeau, presque inaudible, à peine remarquable sur leurs lèvres, "...ez moi, tuez moi, tuez moi, tuez..." Tu trembles mais tu t'avances. L'autre s'est effondré dans l'ascenseur et tu vois ses pupilles vides tournés vers toi. Son programme n'était pas prêt. C'est un grosse défaillance dans le conditionnement que les Ouvriers sont sensés recevoir lors de leur gestation. A moins que cela ne soit fait exprès. Le Centre contrôle tout, même vous. Surtout vous.

Tu t'avances, parmi eux, tes circuits à deux doigts de fondre, un de ces doigts étant sur la gâchette du revolver, le tripotant. Tu ne sais pas quoi penser, si c'est fait exprès ou non. Ils te laissent passer, se décalant comme des machines mais te fixant de leurs yeux de poupées. Ils ont aussi des visages de poupées, presque tous les mêmes courbes du nez, des yeux, de la bouche. Aucun visage ressort dans ce tas d'humain. Les genres sont à peine remarquable. Tu glisses entre ces mannequins, ils se remplacent au fur et à mesure. Tu as à l'impression qu'il n'y a ni bureaux ni pièce ni limite, que tout est vide tellement ils prennent cet espace. Les regards se concentrent sur ton visage doux et apeuré et sur ton arme ferme et implacable. Les yeux grands ouverts ne semblent pas s'ennuyer et continuent de chantonner leur mélodie lugubre qui commence à s'insinuer dans ton cerveau. Tu entends "Tu es moi" mais cela n'est qu'une illusion, enfin tu crois. Tu te sens comme noyé. Heureusement ton détecteur de vie est en veille sinon tu y serais passé toi aussi. La multitude de rectangles blancs [vivant] qu'il y aurait dû avoir ne te manque pas. Le plafond blanc parfait renvoie une ombre sur leur visage. Tu as l'impression de ne plus avoir ce droit de mort. 

Héritage HumanoïdeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant