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Je patauge dans l'eau sableuse. Le ressac me repousse tandis que l'écume me fouette le visage.
Mais j'avance quand même, avec les autres, mon fusil serré entre les mains comme le dernier fil qui le maintient en vie.

Combien seront mort avant qu'on atteigne la plage ? Des dizaines, peut être des centaines, et tout ça pour quoi ?

J'en ai rien à foutre de mon beau pays avec son drapeau rayé et ses p'tites étoiles !
J'en ai rien à foutre de ce caillou paumé au milieu de l'océan !
J'en ai rien à foutre de cette putain de guerre à la fin !

Je vais crever, et pour rien, pauvre con insignifiant dans une guerre débile !

Si on m'avait demandé mon avis, j'aurais pris mes cliques et mes claques et je me serai tiré loin d'ici depuis longtemps.

Mais comme je suis qu'un pion qu'on a pas doté de réflexion, je n'ai pas mon mot à dire.

Alors j'obéis en silence.
Je cours sur cette plage en silence.
Est-ce que je mourrais en silence aussi ?
Sûrement.

Au point où j'en suis, je ne vois même pas pourquoi je m'obstine. De toute façon je serai mort ce soir...

Une balle qui rebondit contre mon casque me donne un regain d'énergie.
A quelques centimètres près, j'aurais été coupé court dans mes réflexions de manière définitive.
Ça me fait un véritable électrochoc et j'atteins sans m'arrêter la plage.

Je crois que c'est ça, l'instinct de survie.
Si cette balle ne m'a pas tué, je dois en profiter. Il y a peut-être quelqu'un qui veut que, finalement, je ne meure pas aujourd'hui.

Je ne crois pas en Dieu, pour moi ça ne signifie rien.
Je pense plutôt que c'est le pur hasard et que j'ai intérêt à continuer de courir si je veux pas crever pour de bon.

D'ailleurs même s'il existait un dieu quelque part, j'aurais plutôt tendance à croire qu'il est pas aussi puissant qu'on le dit ou qu'il en a rien à foutre de nous, parce que ça va faire quatre ans que l'enfer se déchaîne ici-bas et il a pas levé le petit doigt pour nous aider...

Malgré les réflexions hautement théologiques, je continue quand même de sprinter entre les cadavres pour rejoindre le fossé aménagé par des camarades.
C'est un trou minable qui ne protège ni de la pluie ni des bombes, mais par rapport à l'apocalypse partout autour, il m'apparaît comme le plus merveilleux endroit sur Terre.

J'aperçois alors un flash entre les bosquets qui masquent l'entrée de la jungle à quelques dizaines de mètres, aussitôt suivi par beaucoup d'autres.
Sans que j'y réfléchisse, mon corps plonge dans le fossé la tête la première alors qu'une rafale de mitrailleuse déchire l'air derrière moi, emportant comme un fétu de paille deux soldats qui viennent s'ajouter au nombre déjà impressionnant de corps étendus sur le sable poisseux et rouge.

Je regarde mes mains, puis les jambes, constatant avec étonnement que je suis encore en vie.

Tout en reprenant mon souffle, j'essaie de trouver un moyen de le faire la malle afin d'attendre la fin de la bataille en suivant la fameuse stratégie de l'autruche.

'Tain de guerreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant