2 - Le 21ème solstice d'été

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Dès l'aube, les trois cents s'affairent aux préparatifs de la fête. Nous avons tous revêtu nos vêtements de soie blanche au cas où les aigles Forestiers blanc et gris, dressés par les Jovites nous survoleraient.

Heureusement, le jour, les chauves-souris géantes des Passates ne sortent pas. Il nous est donc permis de parler et de festoyer, du moins avec précautions.

Nous avons installé la piste de danse dans la grotte pour être au frais et à l'abri. J'ai revêtu une robe spécialement pour l'occasion et lâché mes longs cheveux. Elle est échancrée et courte, comme le sont tous les vêtements des femmes Jovites. J'aimerais avoir plus de courbes, à la place de mes hanches trop droites. Je suis bien plus grande que la moyenne, élancée et athlétique, mais sans formes.

À l'heure de midi, nous goûtons le ragoût de singe. Cela fait tellement longtemps que je n'en ai pas mangé que j'en avais presque oublié le goût. Nous sommes essentiellement végétariens sauf les jours de solstice. Les musiciens s'avancent et le chant des flûtes retentit timidement dans la caverne, toujours avec retenue et chuchotement.

Au crépuscule, ma mère m'invite à rejoindre le centre du cercle et me prend le bras. Sa main tremble. Elle la laisse longtemps agrippée à ma manche. La musique s'arrête. Ma mère se compose une façade devant la foule puis prend la parole :

- Ayons ce soir une pensée pour toutes nos filles et tous nos fils partis rejoindre la zone libre. Beaucoup sont morts, mais nous voulons croire que ceux dont nous n'avons pas de nouvelles ont réussi à passer la porte de la zone Nord.

Tout le monde baisse la tête en l'honneur des disparus. Elle inspire longuement.

-C'est le vingt et unième solstice d'été de Gabrielle, reprend-elle.

Elle me dévisage intensément. Je sais qu'elle aurait voulu échanger sa place avec moi, si elle l'avait pu. Elle continue :

- Comme nos parents se le sont promis, nous célébrerons ce soir le départ de l'aînée de nos jeunes adultes de vingt et un ans vers Eudora.

Elle s'arrête un long moment, me regarde les yeux brillants, puis ses yeux reviennent vers la foule :

-Le destin a voulu que cette année, Gabrielle soit l'aînée des vingt et un.

Elle me prend dans ses bras. Elle m'a préparée depuis longtemps. Je n'ai pas peur. À choisir, je préférais que cela tombe sur moi. Je lui adresse un regard tendre pour la réconforter. Un silence sépulcral règne dans la caverne.

- En guise d'adieu, Gabrielle va vous présenter son talent.

Je prépare ma voix. Avec émoi, une étrange sonorité androgyne sort de ma gorge et perce l'air humide. J'entonne le chant de la liberté à partir de mon timbre profond et bas. Ma tessiture galvanise la foule et l'emporte jusqu'aux aigus dans des vocalises et trilles inouïs qui me surprennent encore. Je sais que ma voix les envoûte. Je tempère cependant l'amplitude, de peur que quelqu'un ou quelque chose nous entende.

Nous avons calfeutré l'entrée autant que possible et placé nos faucons de gardes aux abords de la caverne, mais il nous faut rester vigilants. Pendant un instant, mes cordes vocales leur font oublier les dangers qui nous guettent.

Ils me regardent avec admiration. Personne ne se doutait que je chantais aussi bien. Comment le pourraient-ils ? Nous vivons dans le silence la plupart du temps. Je perçois également leur crainte. À quoi cela va-t-il bien me servir de savoir chanter, pour affronter les terres Passates et Jovites ? Mes prédécesseurs démontraient généralement leurs aptitudes au combat.

Ma mère s'approche et met ses mains au-dessus de ma tête :

- Je te nomme éclaireur de notre peuple. Trouve la paix, enseigne la paix et porte la paix.

La foule répète avec elle :

- Trouve la paix, enseigne la paix et porte la paix.

La cérémonie des adieux commence. Je suis dans un état second. J'ai peur, mais j'ai aussi hâte d'aller enfin vers mon destin. Toute ma vie j'ai été élevée pour ce moment. L'attente interminable m'a rongée à petit feu. Je partirai donc demain en direction de la zone libre. Une zone immense et hermétique, au nord des Terres Passates et Jovites. Un état protégé par un mur de cristal infranchissable ; un état qui vit en complète autarcie. En tant qu'éclaireur, c'est à moi qu'il incombe de trouver un passage... s'il en existe un. 

(NDLR : Allo ? Y-a-quelqu'un ?)

21  (Voyage vers Eudora) ✔️Où les histoires vivent. Découvrez maintenant