- Voilà, ils n'y verront que du feu.
Les piqûres m'avaient fait un peu mal. Je regarde circonspecte les pigments végétaux et minéraux refléter la lettre P majuscule sur le dos de mon poignet droit, tandis que ma sœur range la plume d'aigle affûtée et le henné. Sous la lettre se trouve le code à neuf chiffres qui permettra de m'identifier auprès des Passates.
- Le rendu est un peu plus satiné que les tatouages permanents, évite de te mettre en pleine lumière, me prévient-elle.
Puis elle me tend une fiole :
- Avant d'arriver chez les Jovites, utilise le liquide de la fiole pour dissoudre ton tatouage, comme lorsque nous étions petites. Tu te souviens ?
-Oui.
Ma voix s'étrangle dans ma gorge. Bien sûr que je me souviens de nos jeux d'enfants au bord de la rivière. Lorsque nous partions à la pêche, ma mère nous préparait toujours un tatouage au henné sur nos poignets droits, juste au cas où nous tomberions sur des Passates. À l'époque, les Jovites ne se risquaient jamais dans la zone neutre.
Laura leva ses yeux vers moi.
- Es-tu prête ?
Elle avait peine à contenir ses larmes avant le départ, mais j'ai toujours préféré être du côté de l'action. Cela m'aurait tuée si cela avait été l'inverse ; attendre, attendre pendant des mois en espérant que personne ne retrouve sa dépouille, mais sans jamais savoir ce qu'il serait advenu. Au moins, maintenant je vais découvrir ce qui se passe avec nos disparus. Ont-ils atteint la zone libre ? Pourquoi rien ne bouge-t-il au Nord ? Ils détiennent le cristal, cela signifie qu'ils possèdent encore les technologies que nous, avons perdues. Qu'attendent-ils ? S'ils détiennent les technologies, ils doivent posséder les armes pour contrôler les Passates et les Jovites... Pourquoi rien ne se passe-t-il ?
La démarche souple de ma mère fait craquer une brindille lorsqu'elle entre dans la cavité qui nous sert de chambre à coucher. Son visage reste beau, malgré les épreuves et ses traits usés. Elle s'approche de moi, me serre dans ses bras. Une douleur poignante me coupe le souffle. Ma vie défile devant mes yeux. Son amour m'enveloppe comme un bouclier. Je nous revois en train de chasser. Je me rappelle son ton sérieux lorsqu'elle dirigeait l'école :
-Le savoir est le pouvoir le plus important, les enfants. Les Passates et les Jovites ne veulent pas que les femmes aient accès à la connaissance. C'est la raison pour laquelle vous devez travailler de toute votre âme à transmettre ce savoir aux générations futures.
Les larmes me montent aux yeux. Soudain, je flanche. Son regard se durcit.
-Reprends-toi, pour nous toutes, Gabrielle. Il n'y a que toi qui aies une chance de réussir.
Ma différence. Je réalise soudain qu'elle pense que ma différence pourra nous sauver. Elle vérifie le tatouage sur mon poignet.
-Très bien. Je suis fière de toi. Sois courageuse.
Mes yeux s'embrument. Ma voix s'étrangle à nouveau au fond de ma gorge. Ne la reverrai-je jamais ?
Ma mère me tend mon sac à dos et ma sœur m'apporte les vêtements. Un pantalon et une chemise noire de Passates. Elle me tresse mes longs cheveux noirs et les ramène en chignon, la coiffure des femmes Passates. Je ne dois porter ni ornement ni maquillage, objets de convoitise et de manipulation de l'homme. Je fais attention de bien fermer les boutons de la chemise jusqu'au col. Je connais le plan par cœur.
Mon escorte arrive. Émir est un ami d'enfance. Sa longue barbe brune lui arrive à hauteur d'épaule. Les Passates n'ont pas le droit de se raser. Jamais. Il s'est infiltré chez eux il y a cinq ans et m'aidera à passer la ville. Les femmes ne peuvent pas circuler sans escorte. Elles n'ont pas le droit de se déplacer ni même de parler sans y avoir été au préalable invitées.
Si j'étais capturée, je serais torturée à mort et il n'existe aucun moyen d'atteindre la zone libre sans franchir les villes Passates et les fermes Jovites.
Je prends le sac et la gourde. Les familles sortent de leur cavité et les enfants se jettent dans mes bras. Je les connais tous. Je suis notre seul espoir... jusqu'à l'année prochaine.
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21 (Voyage vers Eudora) ✔️
Short Story- Le destin a voulu que cette année, Gabrielle soit l'aînée des vingt et un. Elle me prend dans ses bras. Elle m'a préparée depuis longtemps. Je n'ai pas peur. À choisir, je préférais que cela tombe sur moi. Je lui adresse un regard tendre pour la...