Chapitre 32

2.2K 168 5
                                    

La semaine avait vraiment été bizarre et les choses n'allaient pas en s'améliorant.

D'abord, il y avait eu les photos que Regina avait laissées sur son appareil après leur visite à Capilano. C'était des clichés d'amateur dont l'œil exercé d'Emma ne pouvait s'empêcher de repérer aussitôt les défauts, mais ils avaient une étrange qualité – pour une raison mystérieuse, Emma s'y voyait représentée plus belle qu'elle ne pensait l'être en réalité. Cette image d'elle-même était d'autant plus troublante que le phénomène se répétait d'une photo à l'autre, et Emma se dit que c'était peut-être un décalage du même ordre qui troublait Regina lorsqu'elle lui montrait les photos qu'elle avait prises d'elle en civil. Encore un point sur lequel elles étaient apparemment sur la même longueur d'ondes sans le savoir.

Ensuite, il y avait eu le feuilleton Mary Margaret et David au studio, jamais à court de rebondissements. Comme si le vœu de Regina avait été exaucé, les deux amoureux avaient repris leurs chamailleries habituelles, agrémentées de scènes de ménage cataclysmiques et de réconciliations passionnées. Leur volcanique romance alimentait les potins et faisant la joie du personnel, que tout ce spectacle hors caméra sortait de son train-train quotidien. Des paris étaient ouverts sur le temps maximal qu'ils étaient capables de tenir sans se disputer. Pour l'instant, le gagnant avait parié sur trois heures.

Toute cette passion qui fusait de manière imprévisible tantôt sous forme d'amour tantôt sous forme de haine ne contribuait guère à la paix dans les studios mais avait au moins contribué à apaiser la douleur de Regina. Si la perplexité avec laquelle celle-ci regardait les deux amoureux enragés était encore loin de l'amusement manifeste que lui inspiraient autrefois leurs disputes, la souffrance à vif qu'avaient suscité leurs premiers émois semblait s'être calmée.

Et puis ce petit homme à la tête d'européen habillé comme un prince était venu traîner autour du plateau et avait tourné autour de Belle en attendant que Regina ait fini sa scène. Etrangement, Belle qui avait au bas mot vingt ans de moins que ce vieux barbon grisonnant, n'avait pas semblée indifférente à son charme d'outre-Atlantique un peu maniéré.

Le petit homme, parfaitement inconnu d'Emma, avait disparu avec Regina, et lorsque celle-ci était revenue tourner sa scène suivante peut-être une heure après, elle semblait bouleversée. Elle s'était réfugiée dans un coin isolé du studio où elle s'était accroupie, avait joint les mains, baissé la tête et fermé les yeux comme pour prier, et s'était retirée en elle-même pour se concentrer sur son rôle avant de tourner.

Elle était si belle auréolée de lumière et oublieuse de tout ce qui l'entourait, tellement elle-même en dépit de son costume de méchante reine, qu'Emma la prit en photo. Le cliché était magnifique, peut-être le premier de ses portraits hors plateau qu'elle avait vraiment envie de montrer au public tant il mettait en valeur à la fois à la beauté de Regina et son profond investissement dans son travail de comédienne.

Et voilà qu'à présent Regina, qui s'était faite attendre ce samedi soir, se tenait à la porte de sa chambre de motel, irrésolue, l'air d'avoir envie de faire demi-tour au lieu de lui bondir dessus et de la coincer comme elle aimait tant le faire contre la première surface plane disponible pour la frôler de partout en attendant qu'Emma la touche pour de bon la première.

― Je vous en prie Regina, dit Emma, sentant un début d'angoisse lui serrer la gorge. Quoi que vous soyez venue faire, ne restez pas dehors.

Elle s'effaça, et Regina finit par se décider à passer la porte. Emma s'empressa de la refermer derrière elle comme si cela pouvait l'empêcher de s'envoler et de disparaître à jamais. L'actrice n'ôta pas son manteau et prit appui sur la table sans vraiment s'installer.

― Que se passe-t-il ? interrogea Emma.

Quelque chose dans la contenance de l'actrice la dissuadait de l'approcher. Elle garda ses distances.

Regina ouvrit la bouche, inspira, puis la referma sans rien dire. Elle contempla un moment Emma, soupira, et parla enfin.

― La subtilité n'a jamais été mon fort. Alors voilà. J'ai réalisé cette semaine que vous et moi étions engagées dans une relation.

Emma haussa les sourcils. Bien sûr qu'elles l'étaient. Une relation excitante, délicieuse et profondément enrichissante, pour elle du moins, mais aussi, avait-elle la faiblesse de croire, pour Regina.

― Et ? demanda-t-elle prudemment.

Regina la considéra avec stupéfaction.

― Vous le saviez ? accusa-t-elle, l'air prête à s'emporter. Comment avez-vous pu... ?

― Quoi ? l'interrompit Emma. Coucher avec vous ? Passer du temps avec vous ? Vous faire découvrir un peu de mon univers en échange d'un peu du vôtre ? Je vous avais dit que je ne voulais pas être votre jouet, Regina. Et je ne le suis pas devenue, justement parce que vous avez accepté de vous engager dans cette relation avec moi.

Une expression de désarroi s'afficha sur le visage de Regina.

― Mais ce n'est pas possible. Jamais je n'ai voulu...

― Vous attacher ? suggéra Emma en s'approchant lentement.

Regina lui jeta un regard misérable.

― C'est si dramatique que ça d'être attachée à moi ? interrogea Emma en lui prenant les mains avec douceur. Je sais que je ne suis ni riche ni célèbre et que je n'ai pas grand-chose à vous offrir, mais...

― Emma, l'interrompit Regina en se libérant pour prendre le visage de la photographe entre ses mains. J'ai été si heureuse avec vous que je ne m'en suis même pas rendue compte !

Emma en resta un instant bouche bée tandis que Regina lui caressait le visage avec ce qui ressemblait à de la tendresse.

― Eh bien alors, demanda la photographe, où est le problème ?

Les larmes qui menaçaient dans les yeux de Regina finirent par déborder et rouler silencieusement sur ses joues.

― J'ai peur, admit-elle. Je suis terrifiée car tous ceux que j'ai aimés m'ont été arrachés et sont morts.

Cela, Emma le comprenait fort bien. Encore une chose sur laquelle elles étaient sur la même longueur d'ondes.

― Regina, dit-elle. Tous ceux que j'ai aimés sont partis et m'ont abandonnée. J'ai passé la moitié de ma vie à m'enfuir la première pour éviter que ça ne se reproduise. C'est ce que vous mourez d'envie de faire, n'est-ce pas ?

Regina hocha la tête, le regard dans le sien.

― Emma, dit-elle comme à regret. Après Daniel, je m'étais jurée de ne plus jamais aimer personne. Et voilà, je vous aime.

Emma sentit soudain son cœur se gonfler de joie et soutint le regard de Regina, même si ses joues se colorèrent à la seule pensée de ce qu'elle s'apprêtait à dire.

― Et je m'étais jurée de ne plus aimer personne après le garçon qui m'a brisé le cœur et abandonnée quand j'avais dix-huit ans. Pourtant je vous aime, Regina.

― C'est une catastrophe, murmura Regina, les yeux brillants d'autre chose que de larmes.

― Quoi donc ? s'étonna Emma en souriant malgré elle. Que ce soit réciproque ?

― Non, corrigea Regina, pensive, en déposant un baiser sur la main d'Emma. Que mon agent soit au courant. Je ne sais pas ce qu'il a contre vous, mais il va tout faire pour nous séparer.

Le fruit défenduOù les histoires vivent. Découvrez maintenant