Chapitre 46

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Regina avait prévenu Emma après avoir lu le script du premier épisode, il allait y avoir du nouveau dans la saison 5 du « Fruit défendu ». L'actrice s'en réjouissait d'avance car comme elle l'avait réclamé, le nouvel arc scénaristique allait enfin permettre à son personnage d'évoluer un peu et d'exprimer autre chose que la frustration, le dépit et la rage homicide.

La méchante reine allait avoir un centre d'intérêt amoureux.

― Ne le prenez pas mal, ma chère, avait averti Regina. Je ne sais même pas qui est l'acteur qu'ils ont engagé pour incarner ce docteur Facilier, mais notre première scène ensemble finit par un baiser !

― S'il le faut, avait grogné Emma, guère enchantée à l'idée de devoir photographier Regina en train d'embrasser quelqu'un d'autre, même si ce n'était qu'un baiser de cinéma. Elle se consolait en pensant que sur cette chaîne familiale, les baisers étaient en général bien sages et à l'abri de tout réalisme torride.

Emma fut donc aux premières loges pour cette fameuse scène. A la suite de Regina en chignon, robe de bal somptueuse à crinoline et chaussures à semelle compensée qui la grandissaient de plusieurs centimètres, elle vit entrer sur le plateau un homme noir athlétique au crâne rasé et à la bouche entourée d'une moustache et d'une barbiche soignées, revêtu de l'élégant costume de son personnage, redingote rouge et noire, gilet violet, chemise blanche, et collier composé semblait-il de deux dents de crocodile. Il était viril, très séduisant, et inhabituellement intrigant pour un jeune premier du « Fruit défendu ».

Les princes dans cette série étaient tous si fades et incolores qu'ils en étaient désespérants dans leur manque d'intérêt interchangeable. Après avoir assisté à la scène de flirt qui suivit entre les deux personnages, Emma comprit pourquoi ce héros-là s'était vu octroyer le droit d'avoir de la personnalité : il s'agissait d'un méchant. Bonne idée, pensa Emma. Quoi de plus logique en effet que de voir la reine attirée par un mauvais garçon ? On ne l'imaginait guère succomber au charme benêt de cette nouille de prince Charmant. L'attrait des ténèbres, en revanche...

Les deux personnages semblaient se connaître de longue date. Facilier savait apparemment ce qu'il voulait – la reine, qui quant à elle n'avait pas l'air convaincu qu'il s'agissait là d'une si bonne idée. Comme l'avait annoncé Regina, au bout de quelques instants de joute verbale, Facilier ne fit ni une ni deux et embrassa la reine, qui parut prise de court et le laissa faire. Le désarroi puis la reddition et l'abandon se peignirent sur le visage de Regina et ses petites mains se posèrent comme malgré elle sur son partenaire.

Emma serra les dents. Elle n'était pas d'un naturel jaloux. Mais c'était une chose d'avoir été prévenue, et une autre de voir Regina à l'ouvrage. Il n'y avait pas que des avantages à sortir avec une aussi bonne actrice – elle était diablement convaincante.

Emma prit soin de réussir ses photos dès la première prise et pria de tout son cœur pour qu'il ne faille pas la refaire une douzaine de fois. Heureusement pour elle, si Robin fit refaire une partie des dialogues, pour le baiser il se contenta de cette seule prise. Pour une fois, Emma fut heureuse que le réalisateur ait lui aussi un faible pour Regina. Pas plus qu'elle il ne devait avoir envie de la voir embrasser ce beau mâle alpha davantage qu'il n'était strictement nécessaire.

Emma et Regina n'avaient pas rendue publique leur relation au travail, notamment pour éviter qu'elle ne remonte jusqu'aux oreilles d'Albert Spencer et que le producteur, horrifié, ne prenne des mesures drastiques pour s'assurer du respect des valeurs chrétiennes du dix-neuvième siècle au sein de son équipe. Les deux femmes bien qu'officiellement en termes amicaux l'une avec l'autre n'avaient donc que peu de contacts directs au studio.

C'est pourquoi Emma, lorsqu'elle sortit prendre l'air pendant une pause, n'alla-t-elle pas retrouver Regina, dont elle voyait dépasser la crinoline au coin du bâtiment. Elle venait de passer un bon moment plantée sans bouger dans un coin du plateau et fit quelques pas pour se dégourdir les jambes.

Le fruit défenduOù les histoires vivent. Découvrez maintenant