Les Non-dits

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Que ce soit en famille, au boulot, ou même dans une fête de voisins, j'ai toujours essayé de deviner les non-dits, et surtout essayé de bien garder les miens...
Des fois, je repense à cette vieille pub, du gars qui gagne au loto, et qui chante "au revoir, président" déguisé en poussin.
Bon, c'est vrai qu'avec quelques millions d'euros, c'est plus facile de dire ce qu'on pense...
On n'a plus grand chose à perdre...
Ben moi, j'ai plus grand chose à perdre.
Mais j'ai pas gagné au loto, j'ai gagné un cancer...
Une mauvaise toux, puis rendez-vous chez le docteur Petit, puis radio...
Et là, il y a 3 jours de ça, le docteur Petit m'annonce, avec tout son professionnalisme et sa bienveillance, de profiter de mes derniers instants.
Les tâches sur les radios... Il va même jusqu'à m'expliquer que ce sont les métastases au cerveau qui me condamnent (moi qui croyais bêtement n'avoir fait que des radios des poumons... C'est fou la technologie...).
Et voilà que je sors de chez le docteur, anéantie...
Et puis Merde ! (Pardonnez moi) S'il me reste 2 mois à vivre, j'compte bien prendre tout ce que je peux prendre...
Et tout ça pour vous dire qu'à ce moment précis de ma vie, je n'avais plus rien à perdre, et que les non-dits soigneusement enfouis au fil des années n'avaient plus de raison de ne pas sortir.
Oui, je comptais bien profiter de la vie, et profiter de régler mes comptes...
Déjà, j'en avais besoin... Et en plus, en cas de dispute, c'est forcément la cancéreuse qui gagne, vous ne pensez pas ?
Alors, je n'ai pas pris le temps d'acheter le costume.
Mais croyez moi quand je vous dis que tout le service a arrêté de respirer pendant trois secondes avant d'éclater de rire quand j'ai collé la plus grande tarte de ma vie à Laurent (jeune cadre arrogant, qui passait son temps à coller des mains aux fesses à toutes celles qui en avaient peur, qui avait poussé Valérie et Amélie au burn out, et qui rabaissait continuellement toutes les autres...).
Et je peux vous dire que belle-maman n'a pas apprécié que je la regarde dans les yeux quand je lui ai avoué à quel point ces dimanches midi étaient interminables pour moi, et que son avis sur l'éducation de mes enfants, elle pouvait se le mettre (vous devinerez où, encore une fois pardon, j'étais en colère, et sur mon petit nuage de ces trucs qui osaient enfin sortir...).
Et donc, il me restait ce que je pensais être la chose la plus difficile de ma vie...
Ce n'était pas pour faire de la peine à mon chéri.
En quinze ans de vie commune, avec ses hauts et ses bas, il a toujours été là pour moi...
Mais Marion avait 13 ans, j'allais mourir et elle avait le droit de savoir qui était son vrai père...
On ne peut pas retirer ça à son enfant...
Mais finalement, ce n'était pas la chose la plus difficile de ma vie.
Hier, le téléphone a sonné. Je ne l'ai pas entendu, j'ai donc écouté le message 2 heures plus tard:
"bonjour Sonia, c'est le docteur Petit, je ne sais pas comment vous dire, il y a eu une terrible erreur de dossier... Vous n'avez qu'une bonne bronchite, toutes mes excuses."

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