Le regard plissé, j'essaie de respirer. Un pas, un autre, toi, mes plantes de pied qui coulent peut-être là où je m'efforce de marcher. Il y a ce bleu, verdâtre, qui suit mes pas, que je vois habillant mon genou. Le coup a été violent.
Je lève la tête sans savoir pourquoi. Un nuage de fumée, toi, une main agrippe mon crâne, c'est moi, j'ai la respiration qui siffle. Souffrance de partout où tu m'as effleurée, je retiens un cri la bouche ouverte et dans le silence, le son de ta voix se décuple en moi. Un murmure d'abord, c'est souvent comme ça, puis tu me hurles encore que c'est fini, le regard fermé. Oui, j'ai entendu... Je n'avance plus. Mes ongles pénètrent, accrochent mes cheveux, arrachent la racine des plus faibles, envolés.
J'avale un peu d'air, toussote, et maintenant arrive notre rencontre comme une vision brûlante, un bourdonnement. J'expire longtemps. La marche reprend.
Je sens les perles glisser sur mon corps, s'insinuer sur le tissu collé à mon dos. Je les sais rondes, légèrement salées, elles sont un habit de sueur. Elles maquillent les boutons de ma peau, humidifient les griffures encrées. Elles trahissent ton souvenir. Je te transpire par chacun de mes pores. La nuit dernière, je me suis noyée à nouveau avant de commencer ma journée, car oui ce matin le drap m'étreignait sans te remplacer jamais.
Tu reviens à l'attaque, tu reviens avec cette journée en voyage d'affaires. Tu me racontes l'existence que tu as eue sans moi, dans ton torse bat la vie. Nos jambes entremêlées au soleil, tes lacets défaits et mes escarpins rouges baignés de lumière. Nous rions, par moment. Tu prends mon bras comme on le fait uniquement dans les films et me guides en pointant les gratte-ciel : « regarde ». La Tour CN est majestueuse, l'heure du déjeuner s'enfuit dans l'après-midi. Plus tard, tu m'embrasses dans le hall, tes mains portent mon visage soulagé, ça sent le cyprès, le citron.
Je m'efforce de m'arracher à ma mémoire étouffante. Je nous repousse, les poings fermés et tremblants. Je sais que tu gagneras, c'est toi qui es sur le trône et tu restes là. Une douleur vive dans mes biceps, les secousses ne diminuent pas, encore je nous revois courir dans les couloirs. Comme des enfants. Si tu me laisses arriver la première, c'est parce que tu peux prétendre me surprendre : m'enlacer soudain et humer mes cheveux sans une parole. Le monde se met entre parenthèses pour te laisser occuper tout l'espace. Tu décides.
Ce qui s'est passé ensuite dans la chambre 351 envahit mon espace et mon esprit. Je gratte nerveusement mon avant-bras déjà zébré, croûté. Ce geste, impulsif, agressif, alimente le début d'une nouvelle crise. Intensité immense contre une réalité effacée. Oui, j'ai entendu ! Tu n'as de cesse de me quitter, depuis que tu n'es plus là, mes paupières plongent, rageuses, si près de mes cernes.
Mes pieds, d'instinct, savent me guider. Ils m'emmènent vers un gouffre que je sais déjà ne pas supporter. Machinalement, à nouveau, je suis dans La Baie d'Hudson, rayon parfumerie. Tu existes, je te veux toujours, mon doigt appuie en plein combat, une deux trois fois, léger nuage qui vole, puis se dépose sur moi, c'est bon, c'est –
assassin, ma bouche se tord, mon avant-bras et mes joues deviennent coulants, l'un de sang, mais ça ne libère pas la tension, les autres de pleurs, mais tu n'apparais pas. Je racle ma peau encore, encore, la limite est mes os, je n'y arriverai pas. Le fluide cramoisi naît des griffures que ma main rougie ne cesse pas d'infliger. C'est comme si mes doigts étaient les tiens. Ils me font du mal, je le mérite bien. La sueur danse le long de mon échine, ton parfum revêt ma peau blessée, accro.
Et mes poumons s'épuisent trop vite, l'air m'étrangle, je tiens ma gorge, rien ne sort. Chancelante, je crois mourir, ça sent toujours le cyprès, le citron, j'ai voulu ça. Ton odeur, toi.
・•●•・
Sur un brancard dégoulinant, on me pose plein de questions. On m'assure qu'on ne meurt pas d'une crise de panique. On croit panser ma véritable blessure d'un bandage rugueux sur l'avant-bras. On me demande ce qui me lie à ton parfum. On me rassure : je n'aurai pas à payer le flacon cassé, le gérant est même désolé pour moi. On continue de me communiquer des mots alors que je replonge dans la chambre 351 – tu es là.

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Partout
Cerita Pendek« Cela m'était égal de vivre ou de mourir. Le corps entier me faisait mal. J'aurais voulu arracher la douleur mais elle était partout. » - Annie Ernaux, "Passion simple" Montréal, Canada. L'histoire de l'enfer dans lequel m'a plongée Henry après m...