Les combattants de pierres

Chapitre 1

Axar apparut dans un épais nuage blanc au milieu des explosions. Nuri était suspendu à la scène qui se passait devant ses yeux : le favori du combat, un petit homme trapu, allait affronter un adversaire de taille dans un duel acharné. Ils portaient une armure légère qui n'entravait pas leur mouvement. Leurs armes ainsi que leurs protections étaient entourées d'un halo, doré pour le premier, et jade pour le second.

Nuri remua sur son siège. Il aurait adoré les rejoindre, mais seul ceux qui portaient la pierre Andésine le pouvaient. Avec sa pierre Émeraude, il pouvait seulement voir les combattants au loin, perdu dans la foule, avec entre lui et eux, les pierres Opales de Feu et bien sûr, les Andésines qui attendaient leurs tours pour se battre. Les maîtres étaient là aussi, Nuri voyait resplendir leurs pierres Tourmalines sur les tribunes. Ces derniers étaient les plus grands, les plus fort. Chacun avait dû faire ses preuves sur le champs de bataille ou s'illustrer dans un combat. Tous les ans, les Andésines s'affrontaient afin de devenir Tourmalines, et si l'un d'eux réussissait, une des pierres multicolores laissait sa place au nouvel arrivant. L'ancien Tourmaline devenait alors un Diamants, et devenait conseiller ou maître d'armes.

L'ambiance dans l'arène était électrique : les deux combattants étaient à bout de souffle. Nuri admira l'endurance des hommes. Maintenir la magie, déjà très gourmande en énergie, tout en croisant le fer avec l'élite des combattants pendant plus de cinq minutes dans un duel d'exception, avec de belles passes et répliques, n'était pas à la portée de tout le monde. Les deux hommes possédaient d'ailleurs plus de 16 ans d'entraînement physique et de maniement de l'épée. Ils étaient entrés dans la Caserne du Lapidaire, celui qui nettoie et poli les futurs combattants comme des pierres, à l'âge de 10 ans. Comme beaucoup d'entre eux.

On racontait que sa pierre resplendissait tellement, que certains dirigeants souhaitaient en faire une Merveille et la placer dans le Musée des Merveilles à sa mort, au côté de l'épée du légendaire Mirail, et de la coupe de l'illustre sculpteur Jornis.

Au sujet de la cérémonie d'entrée à la Caserne, chacun autour de Nuri laissait aller son imagination, mais personne ne savait vraiment.

Les Diamants qui leur faisaient passer les épreuves ne leur laissaient aucun répit. L'intensité des entraînements était sans égal. Les plus faibles disparaissaient rapidement. Les coups bas étaient monnaie courante entre les élèves, tout était bon pour empêcher les autres de se lever le matin. Mais les plus vicieux étaient également les moins compétents lors des combats de groupe. Leur tendance à l'individualisme les empêchait de se reposer sur leurs compagnons attitrés, et ils finissaient par partir. Les nuits étaient courtes et souvent écourtées, et les journées longues et sans interruptions.

Mais le plus dur était de voir les autres sombrer dans la folie. Le manque de sommeil, la pression des chefs étaient parfois insupportables. Ces gens-là étaient écartés sans ménagement. La Caserne ne gardait que les meilleurs. Et Nuri en faisait partie. Ce qui l'avait fait tenir, malgré la faim, le froid et la fatigue, c'était l'image de son frère, Axar. Lorsqu'il le voyait traverser la cour au loin, il redoublait d'entrain, animé d'une flamme que rien ni personne ne pouvait souffler.

Mais, le moment arrivé, quand il réussit enfin à passer les portes de la Caserne en arborant fièrement sa pierre Morganite et croisa enfin son frère, celui-ci passa sans lui jeter un coup d'œil. Comme s'il ne le reconnaissait plus. Quelques jours plus tard, il apprit que son frère avait été victime d'un ensorcellement, par un magicien Onyx, lui faisant perdre le moindre souvenir remontant avant son entrée à la Caserne, et pour l'instant, personne n'avait trouvé de solution. Les Onyx, tout le monde les craignaient. C'était des anciennes pierres qui s'étaient aventurées trop loin dans les arcanes de la magie. Ils en avaient perdu leur humanité. Mais ils restaient des adversaires parfois mortels. Nuri avait été dévasté par la nouvelle, mais il avait peu à peu repris espoir et s'était forgé un nouveau but : s'élever dans la hiérarchie pour qu'Axar pose enfin son regard sur lui, même s'il ne le reconnaîtrait pas.