Chapitre 5

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CHAPITRE 5

Dès que la porte est close, je m'adosse au mur et ferme les yeux un court instant. J'entends les talons d'Agnès qui claquent de moins en moins fort à chaque seconde. Dans ma poitrine, j'ai l'impression que mon cœur va exploser. Il faut que j'en parle à quelqu'un. J'ai presque l'impression de rêver. Sur mon téléphone, je clique sur une application de messagerie et sélectionne mon amie Sam. Je ne l'ai jamais vue, mais à elle seule, elle représente tant de personnes pour moi. Elle est à la fois ma meilleure amie, ma sœur, ma cousine un peu folle, et parfois même, elle joue le rôle de ma mère. Elle seule connaît tout de ma vie, de mes plus grands  secrets, de tous mes espoirs brisés, de toutes mes difficultés présentes... Si une personne peut me comprendre, c'est bien elle.

Lorsque mon message est envoyé, je pousse un cri de surprise en voyant que je suis presque en retard. Je glisse le téléphone dans la poche intérieure de ma veste et je m'élance en courant jusqu'u bureau de ma responsable pour récupérer ma caisse. Il faut que je reste concentrée jusqu'à la fin de ma journée. Je n'ai plus qu'à attendre cinq heures et je vais à nouveau pouvoir savourer le goût de ses délicieuses lèvres... et bien plus encore !

J'arrive devant ma collègue totalement essoufflée, avec un petit sourire en coin, et sans même me regarder, elle me dit :

— Purée, ton nouveau Jules, c'est quelque chose ! Si je n'étais pas mariée depuis presque trente ans, je tenterais bien de te le piquer...

De ma voix la plus sèche, je lui réponds :

—  Même pas en rêve ! Je ne comprends pas ce qui m'arrive ni ce qu'il me veut vraiment, mais celui-ci, il est à moi. Je le garde... Même si j'en crève de peur !

Elle se retourne vivement vers moi. Le sourire qu'elle avait jusqu'alors aux lèvres a disparu.

— Il est violent ?

Je pose mes mains sur ses épaules. Je la regarde bien droit dans les yeux.

— Ce n'est pas dans le sens-là qu'il me fait peur... Je ne comprends pas ce qu'il peut me trouver. Il me fait peur parce que, même si je le connais à peine, je le sais, ce mec peut me briser, complètement ! Enfin, regarde-moi !

— Oh Charlotte, crois-moi, c'est ce que je fais. Je te regarde... et lui, il te voit aussi bien que moi. Tu es douce, gentille, serviable, polie, jolie, pulpeuse. Ton Jules n'a qu'une envie c'est de détruire ta culotte ! Si je peux te donner un conseil, c'est de ne pas te précipiter, prends ton temps. Comme à l'armée fais-lui faire ses classes ! Pense aux délicieuses punitions et récompenses que tu pourras lui imposer...

J'éclate de rire... Mon Dieu, je ne vais plus jamais pouvoir la regarder dans les yeux. Quelle coquine cette Agnès !

Le reste de l'après-midi est passé tout en longueur. J'ai vraiment eu du mal à supporter toutes les mères fatiguées et désabusées et ces gamins capricieux. Après ces familles épuisées par les fêtes, sont arrivés les célibataires. Eux, c'est facile de les reconnaître. Eux, achètent des plats à réchauffer au micro-ondes et de l'alcool, mais ce ne sont pas les pires, loin de là ! Le plus difficile lorsque je fais la fermeture, c'est de voir les collègues partir une à une. Les deux dernières heures sont souvent longues et les plus compliquées. Après de nombreuses agressions, nous avons tous droit à notre vigile. Heureusement, j'ai mon ange gardien derrière moi, je l'aime beaucoup. Je le connais depuis plus de dix. A cette époque-là, j'étais une jeune femme pleine de courage, d'ambition, mais... c'est une autre histoire ! Entre deux clients, j'aime discuter avec lui. Souvent, nous parlons de sa vie et il me demande des conseils, et surtout, on parle lecture. Il s'est mis au défi de lire les Grands Classiques et j'admire sa ténacité.

— Non, mais Madame, je vous jure, plus de quatorze pages pour parler d'une connerie de repas ! Je crois qu'il y a une page entière juste pour décrire un saladier de petits pois...

Je ris tout doucement.

— Marc, tu sais que tu as le droit d'abandonner et de prendre une autre lecture... As-tu déjà essayer de lire des pièces de théâtre ?

Il secoue la tête de droite à gauche.

— Non, Madame, à l'époque, j'ai tout lâché trop vite. Grâce à vous, j'ai une seconde chance d'apprendre !

J'ai les larmes aux yeux. Gêné, il poursuit :

— Allez encore une petite heure et je vous accompagne jusqu'à l'arrêt de bus.

C'est notre petit rituel à nous.

— Je ne crois pas, non ! Cette voix d'habitude enchanteresse claque comme un fouet à mes oreilles.

— Sexy Chacha rentre avec moi, ce soir...

Je me sens rougir. Machinalement, je scanne les articles qui sont sur le tapis. Une bouteille de vin rouge, des bougies parfumées, des affaires de toilettes... des préservatifs ! Je rougis encore plus.

— Julien, tu penses t'en servir ce soir ?

Moi, je suis de plus en plus rouge. Lui, rien ne le choque !

— Oh oui ... Et tu le veux aussi !

Dans ma tête, j'entends Agnès : Première épreuve !

— Non ... enfin oui. Mais on ne s'en servira pas et j'espère pouvoir te faire confiance pour respecter mon choix.

Notre duel est interrompu par Marc.

— Madame, je vous raccompagne chez vous et n'hésitez pas à m'appeler s'il se passe quoi que ce soit... Sinon, je reste devant chez vous toute la nuit.

— Marc...

— Non Madame, la dernière fois, je n'ai pas su vous défendre, aujourd'hui je suis prêt !

De rouge, je suis passé au blanc total. Mon sang a déserté mon visage. Depuis bientôt deux ans que nous nous côtoyons au magasin et c'est la première fois qu'il évoque ce qui s'est passé il y a dix ans au collège. Julien reste un peu interdit. D'une main ferme, il prend la boîte de préservatifs et la tend à Marc.

— Tiens... Je n'en aurais besoin que lorsque ma Charlotte le voudra. Demain, dans une semaine ou le mois prochain... L'avenir nous le dira.

Julien règle ses achats et juste avant de me quitter, se penche vers moi et me glisse ses petits mots :

— Tu sais qu'on peut se faire plaisir sans avoir besoin de capotes ? je gémis doucement tout en me mordant la lèvre inférieure. Il se recule un peu et me demande plus fort : Je pensais prendre asiatique pour ce soir. Tu as des allergies ou des trucs que tu n'aimes pas ?

Je réponds que non, il m'embrasse alors juste à la commissure de la bouche et s'en va. Les autres clients, mes collègues, Marc... tous ont disparus. Il n'y a plus que Julien ! Marc ne me dit rien, mais je vois bien qu'un truc le dérange. Lorsque le dernier client est parti, je retire ma caisse, fais un rapide ménage et côte à côte, on se dirige vers la caisse centrale. Juste avant d'y pénétrer, il faut absolument que je lui dise qu'il n'est pas responsable de ce qui m'est arrivé.

— Marc, est-ce que tu comprends que tu ne pouvais rien pour m'aider au collège. Tu n'étais qu'un gamin, l'adulte c'était moi ! C'était à moi de résoudre cette merde. Ceux qui pouvaient m'aider ne l'ont pas fait, mais ce n'est pas grave. Je vais bien, ok ?

— Mais Madame, ça me tue de vous voir ici. Votre place, c'est dans une salle de classe à transmettre tout votre savoir... Et lui, là vous pensez que vous pouvez lui faire confiance ?

J'ai la voix brisée lorsque je lui réponds.

— Marc, ne t'en fais pas pour moi. Je suis une grande fille, rentre vite chez toi retrouver ta chérie... Mais je vais garder ton numéro en haut de ma liste et je t'appelle s'il y a quoique ce soit, promis !

Comme une automate, je dépose ma caisse dans le coffre et je me dirige vers mon casier. J'ouvre ma pochette et sans comprendre comment, je me retrouve avec deux cachets dans la main. Je les avale rapidement. Je mets ma veste, prends mon sac. En sortant je scanne mon badge et la porte s'ouvre. Comme promis, il est là. Plus beau que jamais, adossé à un monstre de voiture. Le plus dur, c'est de ne pas courir pour me jeter dans ses bras !

Rien n'arrive par hasardWhere stories live. Discover now