Chroniques d'une Parisienne dans les Transports en Commun

35 - A propos de Princes Charmants

Ligne 6, 1992

Pourquoi, dans les transports en commun (et ailleurs aussi, il faut bien le préciser), ce sont toujours les hommes lourds et moches qui nous draguent ? Franchement, Messieurs, combien de personnes ont-elles succombé à vos charmes, quand elles sont coincées avec vous dans le bus ou le métro, et que vous agissez de façons aussi vulgaires ? Tout au plus, cela nous donne une histoire pour vous tourner en ridicule entre copines.

Sur les centaines de fois où j'ai été abordées (je n'en tire aucune fierté, croyez-moi, la médiocrité des dragueurs est si peu flatteuse), la seule fois où j'ai été sincèrement émue est lors de cette rencontre silencieuse qui remonte à mes années d'étudiante.

J'attends sur le quai de la ligne 6, à la station Charles de Gaulle- Etoile. Cette fois, contrairement à d'habitude à ce terminus, la montée et la descente des voyageurs se fait par la même porte. Je sens sur moi un regard, et, un jeune homme, au lieu de continuer son chemin vers la sortie, s'arrête à côté de moi. Je ne vois pas son visage, parce qu'il est grand et je n'ose pas lever la tête. Je vois juste à son torse qu'il est tout jeune en jeans et t-shirt blanc, un sac d'étudiant jeté en bandoulière. Ses bras sont fins et musclés. Je ne peux m'empêcher de sourire.

Il me suit à l'intérieur de la rame, et s'assoit à côté de moi ; sans aucun geste, sans un mot. Moi, je fais comme si je n'avais rien vu, et me plonge dans la lecture de mon livre. Au bout de quelques stations, il est redescendu avec un soupire. Il est parti sans se retourner, mais j'ai pu voir ses boucles brunes sous sa casquette. Encore aujourd'hui, quand je repense à cette histoire, j'ai des papillons dans le cœur.