L'ambiance était plus détendue quand Hugo quitta son poste le soir même et que Franck le ramena. En entrant dans la maison, il ne vit Aaron nulle part, sans doute retranché dans sa chambre. Rassuré par sa conversation de ce midi avec Franck, il ne s'en inquiéta pas plus que ça. Il monta dans sa propre chambre, se changea et redescendit.
Franck s'occupait déjà dans la cuisine, rassemblant les éléments du dîner. Il sortit un emballage du congélateur.
– Toujours pas vu Adam ? demanda-t-il pour la forme.
Hugo secoua la tête, se retournant néanmoins pour s'assurer de son absence.
– C'est un garçon intelligent, apprécia Franck. Mine de rien, il en a dans le crâne. Mais il a le potentiel émotionnel d'un enfant de 12 ans. À mon avis, il vous verra à la toute fin.
Mais son pronostic s'avéra finalement, et étonnamment, inexact. Alors que la soirée avait à peine commencé, que la salle à manger sentait bon la cuisine en préparation et que Hugo et Franck négociaient le dessert, le craquement d'une marche les fit tourner la tête. Ils aperçurent alors Aaron dans l'escalier, fiévreusement accroché à la rambarde, qui ne semblait pas savoir s'il devait continuer à descendre ou précipitamment remonter dans sa chambre. Il donnait l'impression que son dernier souhait était d'être vu.
Franck se redressa du plan de travail, accrochant doucement son regard.
– Adam ? l'invita-t-il. Tu voudras manger avec nous ?
Celui-ci ne répondit pas, mais il fit un pas pour descendre l'escalier, puis un autre. Arrivé au bas des marches, il hésita, la tête baissée.
Il s'approcha alors, les doigts entortillés devant lui, avec contrition. Hugo le regarda venir vers lui, en lui trouvant l'air d'un enfant sur le point d'avouer avoir envoyé son ballon dans une vitre. Se souvenant des éclaircissements de Franck sur sa situation, il se résolut à afficher l'attitude la moins hostile possible. Étant donné les circonstances, l'animosité ne lui semblait pas être une bonne idée.
L'échange qui suivit se fit sans le moindre mot. Aaron marcha enfin dans la cuisine, et vint à Hugo. Puis il regarda Franck qui hocha doucement la tête et s'éloigna dans le salon.
Demeurés seuls, Aaron et Hugo se firent silencieusement face. Aaron se mordit les lèvres, puisant de toute évidence toutes les ressources dont il était capable pour se décider à parler. Hugo le regarda faire sans piper mot, incapable de savoir s'il devait l'encourager en parlant le premier, ou le laisser prendre son temps. Il jeta un rapide coup d'œil sur Franck qui, d'un geste de la main, l'invita finalement à parler le premier.
– Franck m'a expliqué qu'il vous avait parlé, commença-t-il alors d'une voix qu'il voulut la plus calme possible.
Il y eut un battement de silence, Aaron ne pouvant réprimer un coup d'œil vers Franck toujours dans le salon.
– Il m'a dit, poursuivit alors Hugo, qu'il y avait des chances que vous veniez me voir, aujourd'hui.
Aaron leva les yeux sur lui, la pupille agrandie par l'angoisse, tel un faon capturé par un phare de voiture. Pendant une seconde, Hugo se crut face au jeune Aaron Davis d'il y avait dix ans.
– Je..., articula Aaron.
Résolument muet, Hugo le laissa parler.
– Je..., répéta Aaron.
Il ravala sa salive, la gorge apparemment nouée. Il jeta un nouveau regard furtif vers Franck qui, d'un infime mouvement de la tête, l'encouragea à continuer.
– Euh... Je...
Ses doigts se crispaient au point que ses jointures en étaient blanches. Son front était plissé par la concentration, et le coin de ses yeux dangereusement humide. Ses efforts pour parler étaient écris en grosses lettres clignotantes au-dessus de sa tête, mais son angoisse était telle qu'elle lui coinçait désespérément les mots au fond de la gorge.
Hugo eut pitié pour lui. Il ne savait pas pourquoi ni comment, mais en cet instant, il eut l'impression de comprendre un peu mieux ce que voulait dire Franck.
Il ne parla pas par impatience. Il ne parla pas parce qu'il avait envie d'en finir avec cette conversation. Il parla parce qu'Aaron était en train de tomber en miettes devant ses yeux en dépit de ses efforts évidents, et qu'il ne se sentait pas assez cruel pour compter les morceaux.
– De toute façon, j'étais trop jeune pour lui, dit-il alors.
Ses propos prirent Aaron au dépourvu. À la fois parce qu'ils étaient venus sans prévenir, mais aussi à cause de ce qu'ils voulaient dire. Ses yeux et sa bouche s'arrondirent, et il ne put retenir un petit « oh ! » de surprise. Son regard alla de Hugo à Franck, et il sembla brusquement complètement perdu.
– Franck et moi avons discuté aujourd'hui, expliqua Hugo, et il est apparu, qu'apparemment, je ne lui convenais pas. Mais cela n'enlève rien à la façon dont vous vous êtes comporté ce matin. Franck m'a expliqué certaines choses, je peux comprendre pourquoi c'est arrivé, mais ça ne l'excuse pas.
Incapable d'articuler un mot, Aaron se contenta de hocher frénétiquement la tête.
– Je suis cependant disposé à accepter vos excuses, poursuivit Hugo, si vous me faites la promesse de ne pas recommencer ça.
Là encore, le regard d'Aaron alla de Hugo à Franck.
– Vous me promettez de ne pas recommencer ça ? insista Hugo.
Toujours éloigné dans le salon, Franck fit un signe encourageant à Aaron, qui se tourna finalement vers Hugo et hocha la tête avec un air de finalité. En retour, Hugo hocha la sienne de satisfaction.
– Dans ce cas, l'incident est clos, conclut-il. Vous voudrez manger avec nous, ce soir ?
Cette dernière question fut comme un souffle chassant le malaise de leurs épaules. Aaron sembla se décrisper, acceptant d'un dernier signe de tête, alors que Franck revenait du salon pour achever les préparatifs du dîner.
– Mettez la vaisselle et asseyez-vous, les invita-t-il en posant une main rassurante sur l'épaule d'Aaron, je m'occupe de la bouffe.
Aaron se détourna alors vers le plan de travail et ouvrit le tiroir à couverts sans un mot. Hugo, qui allait pour prendre des assiettes, arrêta son geste.
– Au fait, en parlant de bouffe..., se souvint-il.
Il regarda Franck.
– On n'a toujours pas décidé le dessert.
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Our Love Song - Track 1 [TERMINÉ]
RomanceGagnant du concours "Murmures Littéraires" 2019 - 2020 _____________________________________________________ On aurait dit à Hugo, des années auparavant, qu'il serait un jour banquier et irait éplucher la comptabilité de son idole d'adolescence, il...