Les longues notes du grand orgue imposent un respect divin. Par ces temps, il est le seul à troubler le vacarme régulier de nos vies. Le seul qui ose encore se mettre en travers de son chemin. Cependant, même ces notes parmi les plus réjouissantes ne font naître aucun sourire, tout juste des larmes de nostalgie... nostalgie d'un temps mort et croupissant dans une boue de sang. Un sang national, un sang du courage, de la bravoure, mais surtout un sang amer et perdu pour un peu plus de boue, qui part pareil endroit vos plus que l'or et la vie.
La prière est ballottée entre encouragement et obus. On nous dit de ne pas perdre espoir alors que beaucoup d'entre nous sont morts, mutiler, fou, et apeurer. La terre macule nos visages sales et déformés, mais nous devons prier. Pour le salut de nos âmes, pour la patrie, pour nos familles, nos amis, pour que nos maisons restent debout, nos champs bien fournis... En définitive, il y a bien trop de choses pour lesquels nous devons prier...
Le banc est raide, mais je me réjouis de pouvoir m'asseoir, on apprend à aimer avec passion le moindre moment de répit. Cette fois, je crois que c'est ma dernière prière, personne ne parle à part le prêtre et dans ses yeux se lit la peur, la miséricorde et l'envie de fuir aux confins du monde. Pourtant il est là, debout, et il fait sa messe le sourir aux lèvres, comme un père qui embrasserai son garçon, avant de l'envoyer à la mort. Nous allons rester là, notre sang servira à avancer un peu, ou peut-être pas, le sens du sacrifice n'est pas une science exacte, on ne connaît que le postulat de départ, vous mourrez. Et croyez-moi vous préférerez mourir sur le coup, car sinon c'est une longue agonis, vous entendez les balles fuser autour de vous, vous voyez les hommes chanceux mourir et vous sentez dans votre chair quelque chose. Cette chose, sachez-le veux votre mort et si elle ne l'obtient pas tout de suite elle va vous le faire payer pendant des heures, jusqu'à ce que votre cœur, épuiser, rende les armes.
Parfois entre frémissement de froid et de peur, au fond de ma tranchée, je pouvais presque entre voir son sourire, sentir ses mains sur mon corps, te sentir toute entière collé à moi. Je m'en souviens mieux encore que les bombes et l'horreur, son odeur, sa voix, ses cheveux, son visage fin et doux. Si j'avais quelque chose à léguer, quoi que ce soit, c'est à elle que je le donnerai. Elle le mérite, peut-être pourra-t-elle arrêter tout ça ? Me voilà en train de rire au milieu de la messe, en pensent que je ne sais même plus son nom, et que je n'ai pas vraiment eu de discussion avec elle sinon pour lui donner plus que convenu. Je ne parlais pas sa langue... C'était une de ces filles du froid, pour trouver son pays il fallait aller loin à l'Est, là où les gens parlent des langues inconnues, j'ai eu l'espoir de pouvoir y aller et de l'emmener avec moi, mais... Au fond de ma tranchée, son sourire n'est qu'illusion, il n'y a pas de belle femme des neiges ici. Il n'y a que des relents de mort, des morceaux de cadavres et cette satanée boue ! Me voilà en train de pleurer au milieu de la messe, parce que je ne saurais jamais son prénom.
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Je ne sais si les hommes prie avant de rencontrer la mort ... Moi j'étais là, à genou, le sol m'aspirait, et mes yeux coulaient au sol. Et là, au milieu de tout ça, en tête à tête avec elle, je me suis demandé si on allait pleurer mon nom... C'est évident pourtant, qui pleure les hommes, qui à l'instar de la pierre compose le sol sous mes genoux ? Personne, et là au milieu de cette boue humaine, j'en suis venue à la conclusion que personne ne saurait jamais que je suis mort ou même que je fus vivant... On ne pleura ni mort ni vie pour moi. Je suis un combattant de l'oubli, une ombre laissée dans le sillage de notre monde. Je suis un vivant en sursis, et chacun ici est dans ce cas, déjà un peu mort et certainement un peu moins vivant. On nous dit que nous irons au paradis. Mais moi l'enfer m'irait bien... Nous ne connaissons que ça, que les flammes de la guerre, les râles et hurlements d'agonies, nous ne connaissons que le désespoir...
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Dernière prière
Ficción históricaUn banc dur, un prêtre apeuré, des souvenirs et beaucoup d'horreur, voilà les derniers instants de ce poilus sans nom...