Nouvelle n°1 : Le supplice de Prométhée

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Plongé au cœur de la pénombre, je laisse mon corps flotter au gré des courants invisibles. Au fur et à mesure des secondes qui passent, mon cœur s'accélère. Progressivement un sentiment d'insécurité s'installe en moi. Mon souffle semble s'échapper de tout mon être. À bout d'oxygène, je tente de sortir la tête hors de ce chaos. Peu à peu, une lumière diffuse m'apparaît. Enfin, j'ai l'impression de toucher au but. Alors qu'un éclat aveuglant m'enveloppe, j'ouvre subitement les yeux, reprenant ma respiration d'un seul coup, comme si je venais de sortir la tête hors de l'eau. Je suis dans mon salon, installé dans le canapé. Mon conjoint est à mes côtés, regardant une émission obscure à la télévision. Ce n'était qu'un songe.



Je reprends doucement une respiration régulière. « J'en connais un qui s'est encore endormi devant la télé !». Amusé, mon amoureux m'observe tendrement, gobant par intermittence des chips. Je lâche un profond soupir.

« - Non, je ne vois pas du tout de quoi tu parles... Qu'est-ce-que tu regardes ?

- Une émission de cuisine. Au fait, ton portable a vibré tout à l'heure, c'est peut-être ton boss. Tu sais, ça ne m'étonnerait pas, après le coup que tu lui as fait. Attention, je ne dis pas que tu n'aurais pas dû aider ces pauvres gens, bien au con ... ». Il continue de parler, mais je ne l'écoute plus. Rapidement, je saisis mon portable. Deux appels manqués. Et puis merde, je m'occuperais de ça plus tard. J'en profite pour vérifier mes mails au passage, mais quelque chose cloche. Lentement, je relève la tête en direction de la télévision. Dans l'appartement règne un silence de mort, interrompu, par instants, par les commentaires de l'émission.



Un frisson soudain me parcourt l'échine mais je n'ose pas bouger. J'ai bien trop peur de ce que je pourrais découvrir. Avec une lenteur extrême, je tourne la tête vers mon compagnon. Le teint livide, la tête en arrière, il semble fixer le plafond avec effarement. Des chips, coincées dans sa gorge, ressortent de ses lèvres bleutées. Ses bras reposent, amorphes, le long de ses cuisses. La mort a prit possession de tout son corps. Je voudrais pleurer mais je n'y arrive pas. Je voudrais crier mais aucun son ne sort de ma bouche. Ce n'est pas vrai. Ce ne peut être vrai ! Je suis encore en train de rêver. Oui c'est sûrement ça. Mon corps, pétrifié, reste lové dans le canapé tandis que l'émission continue de défiler devant mes yeux éteints. Je ne suis plus là. Un bruit soudain me fait retrouver les pieds sur terre. Quelqu'un vient de sonner chez nous à l'interphone. Paniqué, l'esprit plongé dans un brouillard opaque, j'ouvre la porte de l'appartement et descends quatre à quatre les escaliers.



Arrivé au rez-de-chaussée, j'ouvre violemment la porte de l'immeuble. Une forte odeur de pizza envahit mes narines sans que je ne parvienne à saisir son origine. Mes pieds m'entraînent dans une course folle. Je reconnais partiellement les ruelles que je traverse, sans toutefois savoir où je me situe. À bout de souffle, je m'arrête un instant à l'ombre d'une terrasse. Une sueur glaciale me coule le long du dos et des tempes. Pris de vertige, je regarde tout autour de moi. Les pavés grouillent de vie et d'insouciance. Une jeune famille passe devant moi comme si je n'existais pas, perdus, quelque part, dans leur monde coloré. Ça fait tellement longtemps que je n'ai plus vécu cela. Ça fait tellement longtemps que je n'ai pas vu mes parents. Des larmes silencieuses, sorties de nulle part, coulent doucement le long de mes joues. Par réflexe, je sors mon portable, que j'avais glissé dans ma poche arrière de jeans. Je compose fébrilement le numéro. Messagerie...

La Cité des songesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant