Nouvelle n°5 : Mon nom est Eurydice

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Perdue quelque part dans les limbes de mon sommeil, je suffoque. Je sens mes dents se déchausser, ma cornée se décoller, mes cheveux se détacher de mon cuir chevelu. Je voudrais crier, me lever, mais je ne peux pas. Je suis paralysée. Le corps perlant de sueur froide, les tempes brûlantes, je parviens à ouvrir les yeux dans un grand sursaut.



Ce n'était qu'un cauchemar. Comme si mes journées n'étaient pas assez merdique comme ça, il faut maintenant que mes nuits le soient aussi. Désabusée, j'ouvre la fenêtre et fume une cigarette, le coude adossé sur le rebord. Un rapide coup d'œil à mon réveil. Je suis déjà à la bourre. Dans un geste vif, j'écrase le bout de ma cigarette contre le rebord de la fenêtre et la jette dans les airs. Comme un cerf volant, elle virevolte quelques secondes avant de rencontrer violemment le sol. Un instant, je me surprends à imaginer ma tête à la place du mégot. Est-ce que c'est douloureux ? Est-ce que c'est rapide ? Quoiqu'il en soit, ce n'est pas vraiment esthétique.



Je me précipite rapidement dans mon placard et en sors un pantalon usé jusqu'à la corde et un pull difforme. Je pénètre ensuite dans la salle de bain et me lave le visage et les dents. Par réflexe, je fixe la tâche foncée au mur. Cela fait bien deux ans que mon miroir n'y est plus.Brisé. Je me dis à chaque fois que j'en rachèterais un et à chaque fois j'oublie. Pour finir, je ramène mes cheveux en un chignon approximatif et attrape mon sac à dos au vol.



Je suis définitivement en retard. Je longe la pizzeria et emprunte la ruelle qui donne sur l'entrée de service. Dans la précipitation, j'ai oublié mon badge. Mais ce n'est pas grave, ils ne ferment jamais à clef. En trois ans, ils ne m'ont jamais adressé la parole. C'est à peine s'ils savent que j'existe. Comme à mon habitude, je pénètre dans l'arrière cuisine déserte et récupère les cartons de pizzas, prêtes, posés sur le plan de travail. Puis, je repars comme je suis venu, dans l'indifférence générale. Après avoir stabilisé les commandes, j'enfourne mon vélo et me mets à pédaler. J'entends derrière moi, la porte de service s'ouvrir dans un grand fracas. Un aide-cuisinier, en sort hurlant à pleins poumons « Au voleur ! ». Il est vraiment con. En tous cas, si c'est une blague elle n'est pas drôle. Et puis merde, je verrais ça plus tard. Pour le moment, j'ai des commandes à livrer.



Après un temps qui me semble infini, j'arrive enfin à la première adresse indiquée sur ma feuille de route. Lentement, je descends de mon vélo et observe l'immeuble se déroulant jusqu'au ciel. Un instant je me surprends à m'imaginer dégringoler les étages dans un ballet morbide. Mais je retrouve aussitôt les pieds sur terre. Alors, il y a marqué que c'est au deuxième étage. Vu la gueule de la façade, je doute qu'il y ait un ascenseur...



La porte du hall d'entrée s'ouvre violemment, un homme effrayé en sort en courant.Il me m'a pas vu. Alors qu'il s'éloigne déjà, il tourne sa tête une seconde, reniflant l'air comme un chien de chasse. Il est déjà loin. Je profite, que la porte soit ouverte, pour entrer dans le bâtiment. Bingo ! Pas d'ascenseur. Je monte quatre à quatre les marches. J'y suis presque. Une fois devant l'appartement, je me fige. La porte est grande ouverte. Timidement et peu sereine, je toque à la porte. Puis, me heurtant au silence, je décide d'entrer dans le logement. Les yeux révulsés, le corps tremblant de la tête au pied, je laisse échapper de mes mains le carton de pizza qui vient lourdement s'écraser sur le parquet.

La Cité des songesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant