Nouvelle n°2 : La disparition

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Les yeux rivés sur la route, je me laisse porter par la musique diffusée dans l'habitacle. Tant bien que mal, j'essaye de caler ma respiration sur son rythme. Les mains crispées sur le volant, je sens que mon cœur explose. Je ne sais pas ce qui m'a pris. Il ne se souviendra même pas de moi. Dans le ciel, je crois deviner, un instant, son visage, mais ce n'est qu'un mirage.



« Cité des songes : sortie n°21 à 300 m ». Difficilement, je m'extirpe de mon nuage toxique et enclenche le clignotant. Un coup d'œil rapide dans les rétros, personne dans mon sillon. C'est étrange, j'avais cru lire sur le site que l'événement attirait beaucoup de monde chaque année... Peut-être pas cette fois. Stressée au possible, je rétrograde brusquement les vitesses. « Allez, passes putain ! ». Bientôt devant moi se dessine une intersection. Perdue, j'interroge du regard mon GPS. Éteint... « Bien sûr, super. Et en plus y a pas de panneaux. Fais chier, fais chier ... ». Tremblante de rage et d'appréhensions, je prends une longue inspiration. Les yeux fermés, je laisse mon inconscient guider mes pas. « Il faut toujours se fier à son inconscient. » m'avait dit un jour un prof de psycho. On verra bien s'il disait vrai...



Mes mains, de leur propre volonté, tournent le volant avant de remettre la voiture droite sur la route. Et puis... c'est comme si un éclair venait de jaillir devant mes paupières closes. Doucement  j'ouvre les yeux. Le GPS vient de se rallumer « Vous êtes arrivée à destination ». Devant moi s'étend, à présent, la Cité des songes. J'ai toujours trouvé que c'était un nom bizarre pour une ville, qui est somme toute, plutôt banale. La seule chose qui me frappe ici, c'est le nombre de piétons sur les trottoirs et le nombre de voitures garées ici ou là. Finalement, ils avaient raison, la manifestation doit attirer beaucoup de monde. De nouveau, je sens le stress me comprimer la poitrine. C'est la première fois que je viens ici, et la première fois que je vais à une convention sur les jeux-vidéos. D'ailleurs, je n'aime même pas ça, les jeux-vidéos.



Non loin de l'entrée de l'événement, je repère un parking gratuit. Je m'y gare et descends, à reculons, de la voiture. Mais pourquoi est-ce que je fais ça putain ? Je sais pertinemment que ça ne mènera à rien. Adossée contre la portière côté conducteur, je sors, d'une main faiblarde, une clope et un briquet. Il me faudra au moins ça pour me donner le courage d'y aller, pour me donner le courage de l'affronter. Après quelques secondes, j'écrase violemment ma cigarette contre le talon de mes dr Martens. C'est maintenant ou jamais. Et puis, peut-être qu'il ne sera pas là après tout. Je vérifie, avant de partir, une énième fois, que ma voiture est bien fermée et traverse la route pour rejoindre l'entrée. Calme-toi, détends-toi, tout va bien se passer. Il n'est pas là, il n'est pas là, il n'est sûrement pas là, il n'est pas... là.



Son profil se découpe sur les tristes bâtiments de pierres qui composent le centre-ville. Pour la première fois, je crois, sa beauté me frappe. Il ne m'a pas vu. Perché quelque part sur le toit de son monde, il semble déconnecté de tout ce qui l'entoure. Doucement, une pluie roule le long de mes joues. Non ! Je ne peux pas. Je ne peux pas faire ça. Prise d'une peur déraisonnée, un parfum de culpabilité au coin des lèvres, je retraverse à la hâte la route. Mes pas se font de plus en plus pressants, et c'est en courant que j'arrive sur le parking. Encore plus tremblante qu'à mon arrivée, je me saisis de ma clef et presse le bouton d'ouverture des portières. Pas de réaction. Lentement, je relève la tête vers la place où j'avais laissé mon auto. Elle est vide. Un instant je me frotte les yeux et les rouvre. Toujours vide. Ce n'est pas possible, j'ai dû la garer ailleurs, j'ai dû me tromper de place, voilà tout. Les poumons pétrifiés, je tente tant bien que mal de ne pas perdre pied. Sans grand succès. Un nœud d'angoisse s'est, à présent, niché au plus profond de mes entrailles.



Ce n'est pas possible. Nerveusement, j'arpente le parking, scrutant chaque voiture, chaque plaque d'immatriculation. Rien. C'est comme si ma voiture s'était évaporée. Prise d'une frénésie soudaine, je cours dans tous les sens, me perdant tantôt dans des ruelles, tantôt dans des souterrains. Plus rien n'existe autour de moi. Non plus rien n'existe hormis cette quête insensée. Épuisée, remplie de sueur et de peur, je continue malgré tout ma course folle. Déboussolée, je finis par traverser à un passage piéton en direction de la convention. Alors que je m'élance, un homme venu d'en face me percute violemment, envoyant, au passage, valser mon épaule gauche. Un instant nos regards se croisèrent et je vis, dans l'éclat de ses iris, la même peur panique qui habite les miens. Perturbée par cet échange, je poursuis néanmoins mon errance. Je tourne en rond dans le labyrinthe géant que sont les ruelles de la ville.



À bout de souffle et d'espoir, je finis par décider de retourner sur le parking. Je ne sais pas combien de temps s'est écoulé depuis mon arrivée. Une demi-heure ? Une heure ? Je ne sais pas. C'est comme si cette ville aspirait le temps. Après quelques instants, j'arrive enfin devant la place de parking vide. Tristement, je tends le bras vers le fantôme de mon échappatoire. Je crois que je ne pourrais pas fuir cette fois.



« Je peux t'aider ? ». J'aurais reconnu cette voix entre mille. Derrière-moi se tient la raison de ma présence ici. Le cœur à fleur de peau, je reprends longuement mon souffle, avant de me retourner vers lui. Je fixe le sol, figée. Puis doucement, je relève la tête dans sa direction. Alors que nos yeux se rencontrent enfin, je vois son visage se murer dans une expression d'horreur. Le regard immense, il pousse un long hurlement avant de perdre l'équilibre et de tomber par terre. Je m'approche précautionneusement de lui pour l'aider à se relever mais, à nouveau animé par des cris d'effroi, il se relève d'un bond et s'enfuit en courant.



Emplie d'un profond chagrin, je ferme les yeux, laissant des larmes creuser mes joues de leur amertume. Qu'est-ce que tu croyais pauvre idiote ? Il ne t'aime pas. Sur mes paupières closes, des poussières d'étoiles se mettent à danser. Habitée d'une étrange sensation, je me retourne subitement. Ma voiture est à nouveau sur la place de parking. Je fixe le ciel en espérant y trouver une réponse mais je me heurte au silence. « La vie est un bien trop long combat. La fuite restera, pour moi, toujours la meilleure des solutions ». Sans plus tarder, je monte dans la voiture et démarre en trombe. Tout ce que je veux c'est rentrer chez moi. Au détour d'une avenue, je crois le voir mais, aussitôt l'image s'évapore. Ce n'était qu'un mirage.



Enfin, je quitte la ville. Mais, bientôt devant moi se dessine une intersection. Perdue, j'interroge du regard mon GPS. Éteint... « Bien sûr, super. Et en plus y a pas de panneaux. Fais chier, fais chier ... ». Tremblante de frustration, je prends une longue inspiration. Les yeux fermés, je laisse mon inconscient guider mes pas. « Il faut toujours se fier à son inconscient. » m'avait dit un jour un prof de psycho. On verra bien s'il disait vrai...



Mes mains, de leur propre volonté, tournent le volant avant de remettre la voiture droite sur la route. Et puis... c'est comme si un éclair venait de jaillir devant mes paupières closes. Doucement j'ouvre les yeux. Le GPS vient de se rallumer « Vous êtes arrivée à destination ».




FIN





La Cité des songesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant