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Zackaria

Dário installe son micro sur la scène. Ses cheveux vert foncé s'agitent pendant que sa tête hoche au rythme de la musique. Mon ami chante par-dessus Alexander DeLeon. Le titre Bounce résonne dans la salle de fêtes presque vide. Seuls les trois organisateurs présents l'observent de temps à autre. Je ne me sens pas gêné, bien au contraire. J'ai l'habitude de son comportement désinvolte.

Au fil des concerts, Dário a pris confiance en lui. Plus rien ne le gêne. Pas même de se mettre nu pour des enterrements de vie de jeunes femmes ou encore insulter, étant bourré, les invités. Si pour lui cela normal, cette attitude prouve un manque. Et pas n'importe lequel ; un manque de notoriété.

Nous avions toutes les cartes en main. Notre première associée, Chiaara Lawson, était l'âme du groupe. Dário et moi interprétions, Chiaara nous rendait vivants.

Puisque je sortais avec elle, Dário ne voulait pas d'elle. Elle foutait soi-disant la merde entre nous. Elle ne nous apportait rien et utilisait notre réputation naissante. Bien qu'il ne l'ait jamais admis, il craquait sur Chiaara. J'en étais certain. Sa jalousie nous a fait rompre. Du moins, il m'a forcé à le faire.

Nous avons engagé deux autres membres avec lesquels nous avons formé Scammers Of Hearts. Malheureusement, ils nous ont quittés au bout de deux ans. Tout ça à cause du comportement de Dário. S'il était froid avec Chiaara, avec Carl et Jasper il était glacial. Aucun bonjour, ni merci. Il les envoyait balader tel un ouragan.

Voilà où ça nous a menés à jouer pour Noël des chants à la con revisités en rock. Au lieu de cela, nous pourrions être sur une immense scène devant des milliers de personnes.

Cela étant, je ne hais pas mon ami, bien au contraire. S'il est parfois puéril, avec moi il est sincère. Nous nous connaissons depuis l'enfance. Je l'ai vu grandir et se créer une carapace.

- Mec, on mange avant ou après ?

La question de Dário me sort de mes pensées. Je relève mon visage pour contempler le sien. Il affiche une mine contrariée.

- Après, mais il y a de la bouffe en loge, indiqué-je en désignant la porte à gauche.

Dário secoue sa tête. Sans me remercier, il se dirige vers notre loge. Je le suis, déterminé à me restaurer avant le concert. Je ne tiendrai pas deux heures sans manger, d'autant plus que nous venons de monter le matos.

Au passage, j'éteins la musique et m'excuse auprès des organisateurs. Ces derniers haussent des épaules et retournent à leur conversation. Dans la loge, Dário est assis sur une chaise. Son regard posé sur le mur blanc, ses dents claquent. Il mange une part de pizza tiède. À mon tour, je m'installe à ses côtés. Nourriture en main, je la porte à ma bouche.

Le mot loge est vite dit. Il s'agit d'une pièce inutilisée qu'on nous a mise à disposition. À l'intérieur se trouve un miroir, deux chaises et un peu de nourriture. Ce n'est pas digne d'une vraie loge, mais c'est déjà ça. En plus, le Maire a payé tous les frais ; essence, hôtel et repas.

Dans cette pièce, le silence pèse. Dário mâche la bouche ouverte. Je me fais violence pour ne pas l'insulter. C'est bien l'une des choses que je déteste le plus !

- Y aura sûrement de belles nanas, nan ? m'interroge mon ami, la bouche pleine.

J'inspire un grand coup pour me calmer, ce qui ne marche pas.

- Putain, tu manges déjà la bouche ouverte, ne parle pas en mangeant !

À côté de moi, mon ami serre ses poings. Il me détaille de ses iris noisette, un rictus accroché à ses lèvres.

- Ok. Tu n'as pas répondu.

J'engouffre la fin de ma pizza et l'avale. Pendant ce temps, mon pote se lève. Il retire sa chemise grise pour en enfiler une autre noire à trous.

- Je n'en sais rien, pourquoi ?

- Y a des chances pour qu'une soit canon... ça ne te dérangera pas de patienter un peu avant de te coucher ?

Bien qu'il me pose la question, je sais que ce n'en est pas une. S'il ramène une femme dans notre chambre d'hôtel, je serai contraint d'attendre dans le couloir. Monsieur s'amuse à chaque souvent après les concerts, liant passion et sexe.

- Parce que j'aurai le choix ?

Un sourire ourle ses lèvres. Je me lève à mon tour et me change, un brin nerveux.

- Nan, mais tu pourrais en profiter pour rendre au moins la soirée pas mal.

Je souris à pleines dents. Dário me connaît bien. Les parties à trois ne m'intéressent pas. De même pour coucher avec une femme à peine rencontrée. Mais il y a une raison à cette demande de me changer les idées.

Nous haïssons tous les deux Noël.

Lui, pour s'être fait larguer le soir du Réveillon. Moi, pour ces chants incessants. Dès novembre nous avons droit aux décorations écœurantes et aux téléfilms plus idiots les uns que les autres. À contrario, pour la fête d'Halloween, peu de chaînes passaient des films d'horreur.

- Oublie ça, secoué-je la tête en grognant.

Au loin, des voix montent. Je devine que les villageois prennent place à la salle des fêtes. Bientôt nous jouerons sur une minuscule scène, devant une quinzaine de personnes. Cool, j'ai hâte que cette ridicule soirée se termine !

- On y va ?

Dans une tenue adaptée au Rock, nous gagnons la pièce principale. Elle est immense et partiellement remplie d'invité. Avec effroi, je constate que des familles entières passent le réveillon de Noël ici, non pas chez eux. D'un côté, c'est triste, de l'autre, plaisant pour l'ego.

- T'as vu ça ? me questionne Dário d'un ton bas, en me donnant un coup de coude. Il y a des canons. Regarde la nana à dix heures.

Je tourne la tête, les lèvres pincées. La jeune femme qui apparaît sous mes yeux me semble bien jeune pour lui ; dix-neuf ans, environ. Sa tenue est bien sobre, une robe noire qui tombe au niveau des genoux. Ses cheveux longs roux arrivent au-dessus de ses fesses.

Je me décroche de cette vue pour observer notre estrade. Nos instruments nous attendent. Comme d'habitude, le trac me gagne - non pas de jouer devant des inconnus - mais de savoir que nous ne valons rien. Nous ne sommes plus un groupe, mais un duo sans talent. Sans âme. Même Dário n'est pas dupe. En nous séparant de nos coéquipiers, nous nous sommes perdus.

- Ne fais pas cette gueule, t'en trouveras une toi aussi.

Sans répondre, je monte sur l'estrade, suivi de mon ami. Mes prunelles balayent la salle. Beaucoup de personnes sont présentes. Si bien qu'une vague d'angoisse me prend aux tripes. C'est la première fois que nous interprétons des chants en version Rock. Et si on se vautrait ? Et si ma guitare ne suffisait pas aux oreilles de nos auditeurs ?

Ça ne fera qu'une triste défaite en plus.

Vraiment, j'ai hâte de me coucher.

Aïe, le Père Noël est... mon ex ?!Où les histoires vivent. Découvrez maintenant