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LÉNA. — Tu n'as rien écouté.

MYLÈNE. — Je ne vois vraiment pas le rapport avec ces deux cents malheureux grammes de riz.

LÉNA. — Deux cents malheureux ?

MYLÈNE. — Deux cents malheureux grammes de riz.

LÉNA. — Un peu, qu'ils sont malheureux. Tu essaies de t'en débarrasser pour te donner bonne conscience. Tu crois vraiment que ça va leur parvenir ? Tu crois que ça va changer quelque chose ? À qui est-ce que tu espères faire croire ça ?

MYLÈNE. — À des troisièmes sections de maternelle. Ça devrait passer, tu crois ?

LÉNA. — Et à leurs parents.

MYLÈNE. — Ça ne serait pas la première fois.

LÉNA. — Ç'avait marché sur moi.

MYLÈNE. — Tu n'étais pas encore là. Ou tu étais trop petite. / Tu ne t'en souviens pas.

LÉNA. — Je m'en souviens pourtant. Tu te rappelles notre excitation ?

MYLÈNE. — J'étais trop petite.

LÉNA. — On faisait quelque chose de bien. On croyait faire quelque chose d'utile, non : de nécessaire. On apprenait à partager.

MYLÈNE. — J'étais trop petite et tu n'étais pas encore là.

LÉNA. — Conneries. On apprenait à partager le riz de nos parents. Facile de partager le riz des autres. Et aujourd'hui tu veux faire la même chose avec mon riz.

MYLÈNE. — Je suis cohérente ?

LÉNA. — Tu n'as pas grandi.

MYLÈNE. — Ça te va bien de dire ça.

LÉNA. — Je n'ai peut-être pas la sécurité de l'emploi, et je ne suis pas en couple depuis quatre éons, mais moi au moins j'ai pensé à faire les courses.

MYLÈNE. — Je vais en entendre parler.

LÉNA. — Certainement.

MYLÈNE. — Je te rembourserai. Pas eu le temps d'en acheter. D'accord ?

Je te rembourserai, j'organiserai une manif dans ma classe de maternelle, je ferai tourner toutes les pétitions que tu veux dans ma classe de maternelle, j'organiserai un blocus de l'école maternelle, on balancera des doudous sur les CRS, j'enverrai mes élèves donner leur sang, leur plasma, leurs plaquettes et leur goûter, tout ce que je te demande, c'est de m'avancer deux cents grammes de riz, mortel de merle.

LÉNA. — Pourquoi tu ne vas pas chez l'arabe ?

MYLÈNE. — Chez qui ?

LÉNA. — L'épicerie.

MYLÈNE. — L'épicerie. C'est ce que tu as dit.

LÉNA. — Elle est encore ouverte. Elle ferme tard.

MYLÈNE. — Quels bons travailleurs ils font, ces / arabes.

LÉNA. — Ne change pas de sujet.

MYLÈNE. — Ouais ! Je comprends mieux pourquoi tu ne veux pas partager ton riz.

LÉNA. — (En lui lançant un paquet de riz) Tiens. Étouffe-toi avec.

MYLÈNE. — Les petits réfugiés te remercient.

LÉNA. — Tu leur parles comme ça, à tes élèves ? C'est les politicards dont tu fais le jeu qui devraient me remercier.

MYLÈNE. — Quand j'aurai ma propre école, je ferai ce que je voudrai. En attendant / je viens juste d'arriver.

MILENAOù les histoires vivent. Découvrez maintenant