CHAPITRE 2

1.2K 208 36
                                    

Une secousse ébranla le bateau, qui tangua dans un grincement inquiétant. Théo tendit les mains en avant pour amortir la chute et tomba lourdement sur son poignet. Une vague s'infiltra par le hublot ouvert et les eaux se déversèrent sur lui. Le froid s'infiltra en quelques secondes et des centaines de frissons couvrirent sa peau. Une fois le choc passé, il ouvrit les yeux en prenant conscience d'un poids contre lui. Brieuc le surplombait, comme pour le protéger.

— Lève-toi, ordonna le plus jeune en se redressant. Il faut qu'on y aille.

Encore sonné, Théo accepta son aide pour se remettre sur ses jambes. Son corps tremblait, paralysé par la peur. Il se laissa entraîner par Brieuc, tel un automate. Dans le salon, les invités se précipitaient sur le pont supérieur pour tenter de comprendre ce qui venait de se passer. Le Parisien baissa les yeux sur ses pieds lorsque quelque chose craqua sous ses semelles. Des morceaux des verres brisés et des petits fours jonchaient le sol.

— Théo, il faut que tu te mettes en sécurité, ordonna Brieuc. Je reviens.

L'étudiant n'eut pas le temps de protester, son ami grimpait déjà les escaliers. S'attendait-il réellement à ce qu'il attende ici ? Théo chassa de son imagination le cauchemar qui le tourmentait et s'élança vers les marches sous les tremblements du bateau. Il écarquilla les yeux et se figea sur le pont. La nuit, calme et douce, avait cédé sa place à une froideur presque irréelle. La mer s'agitait en vagues de plusieurs mètres, des nuages menaçants s'étendaient dans le ciel, annonçant l'arrivée d'une tempête. C'était pourtant impossible. Théo avait vérifié une dizaine de fois la météo marine pour se rassurer. Heureusement, le bateau avait déjà commencé à faire demi-tour pour regagner le port.

— Rentrez vous mettre à l'abri, hurla Annabelle, la propriétaire du navire.

Théo s'écarta pour laisser les invités redescendre. Son regard sondait la foule, à la recherche d'une tignasse blonde.

— Théodore ! s'exclama Brieuc en posant ses mains sur ses épaules. Qu'est-ce que tu fais là ? Je t'ai dit de rester à l'intérieur.

— Non ! s'indigna le brun. Viens avec moi.

— Je ne peux pas, je vais aider Anna. Elle n'a jamais été confrontée à ça, elle ne saura pas manœuvrer sur ces vagues.

— Ne me laisse pas, ordonna Théo d'un ton ferme. Je te jure, Brieuc, que si tu me laisses...

— Fais-moi confiance.

Le Parisien secoua la tête, la gorge nouée. Il refusait. Quitter des yeux le garçon qu'il aimait n'était pas envisageable. Ce dernier posa son front contre le sien et Théo agrippa sa veste en plongeant dans ses yeux, où l'orage se préparait.

— Je viens avec toi, souffla-t-il.

— Non. On parlera quand je te rejoindrai. Tu me diras ce que tu voulais me dire.

Brieuc esquissa un sourire et effleura sa joue de ses doigts. Théo ferma les yeux quelques secondes, conscient que le plus jeune usait de chantage affectif, mais incapable de résister.

— Reviens vite, murmura-t-il finalement.

Le pas incertain, Théo regagna l'escalier en prenant garde de ne pas glisser sur le sol détrempé. Après un dernier regard en arrière, il descendit les marches avec la sensation d'être un lâche. Pourtant, c'était plus fort que lui, l'océan le terrifiait. Il sursauta lorsque la pluie s'abattit à son tour. Un éclair déchira le ciel, illumina la pièce principale, où les invités s'étaient rassemblés pour attendre la suite.

Il aurait dû les rejoindre et se trouver un coin, afin de lutter contre les ballottements du navire. Pourtant, il resta assis au milieu des escaliers, le regard rivé vers l'ouverture menant au pont. Il ne voyait que le gris du ciel, régulièrement zébré par des éclairs.

Son esprit refusait cette réalité. Il ne pensait qu'à Brieuc et ses mots étranges qu'il avait entendu. Qu'avait-il senti ? Qui étaient les Armures ? Un bruit sourd retentit, semblant provenir de la coque du bateau, juste à sa droite, comme s'ils avaient percuté quelque chose.

— Je ne peux pas, lâcha-t-il d'une voix tremblante.

Théo se leva avec précaution et se tint à la rambarde pour s'assurer un meilleur équilibre. Il ne serait pas tranquille tant qu'il n'aurait pas Brieuc en visuel. Il remonta les quelques marches et posa un pied hésitant dehors. Une rafale de vent le frappa, lui arracha des frissons. Ses doigts glacés agrippèrent la rampe en métal. Il devait simplement rejoindre la porte qui menait à la cabine de pilotage, située à l'arrière du pont. Il inspira profondément pour se donner du courage et avança avec prudence. Le vent tentait de le déséquilibrer, alors que ses chaussures glissaient sur l'eau. Les vagues étaient si grandes qu'elles passaient par-dessus bord pour inonder le navire, qui tenait bon malgré tout.

Il repéra finalement une silhouette familière et son cœur rata un battement sous la frayeur. Que faisait Brieuc dehors ? Il se tenait face à l'océan, les mains tendues vers les flots couleur d'encre. Une lueur bleue émanait de ses doigts. Devant lui, la vague semblait diminuer et s'assagir. Pourtant, Théo refusait de comprendre. Tout ce qu'il voyait, c'était le garçon qu'il aimait se tenir sous la pluie, ses cheveux blonds plaqués en arrière, face à un océan déchaîné.

— Brieuc ! appela-t-il en se précipitant vers lui.

Son cri se perdit dans un coup de tonnerre. Une vague frappa le bateau, le renversant sur le côté, et il perdit l'équilibre. Ses doigts effleurèrent la rambarde, mais se refermèrent dans le vide. Sa tête frappa le sol inondé avec brutalité et son corps glissa, accompagné de chaises, de vaisselle et de décorations. Ses ongles tentèrent d'agripper le plancher, alors que ses yeux s'écarquillaient d'épouvante en voyant le bord se rapprocher. Il passa sous la barrière de sécurité et réussit à l'attraper avec la force du désespoir. Le vide l'appelait, le grondement des flots l'encourageait à lâcher prise. Déjà, ses doigts mouillés glissaient sur le métal froid. Le cauchemar devenait réalité.

Il ouvrit la bouche sans savoir si un son en sortit. La chuta sembla durer de longues secondes, alors que ses yeux accrochaient une étrange lueur bleue provenant de l'arrière du bateau. Brieuc. Ce dernier lui avait promis qu'il ne le laisserait pas passer par-dessus bord. Il ne l'avait pas vu, ni même entendu. Il le chercherait probablement de longues minutes, avant de se rendre compte de sa disparition. Il serait en colère.

La morsure glacée de l'eau lui arracha un hurlement. Elle s'engouffra aussitôt dans sa gorge et ses poumons. Il tenta de la recracher, de se débattre, mais il n'était pas assez fort. Il sombrait, ne savait plus dans quelle direction nager, le haut et le bas se ressemblaient.

Théo se débattit quelques instants et, soudain, il parvint à percer la surface pour prendre une bouffée d'air. Son regard effrayé tomba sur une vague qui grandit pour mieux l'engloutir. L'impact le renvoya sous l'eau, pour que les flots se disputent son corps. Ses pensées embrouillées allaient de Brieuc à ses parents. Il ne voulait pas mourir. Pourtant, il finit par fermer les yeux, transis de froid, et laissa les ténèbres l'envahir, alors que les dernières bulles d'oxygène s'échappaient d'entre ses lèvres.

Marcheurs des profondeursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant