CHAPITRE 1

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— Tu fais chier, Brieuc ! s'indigna le vacancier, alors que l'objet de son désir filait une nouvelle fois entre ses doigts.

Cette fois, il y avait vraiment cru, il avait été sur le point de dérober ses lèvres. Pourtant, Brieuc s'était à nouveau enfui et le narguait à présent de son sourire espiègle, celui qui creusait une fossette sur sa joue droite et qui le faisait fondre. Ses boucles d'un blond clair, presque blanc, étaient désordonnées après qu'il ait dansé au milieu de la foule d'étudiants.

— Je t'adore aussi, Théodore, pouffa Brieuc.

— Ne m'appelle pas comme ça, grogna-t-il.

Il détestait son prénom, qui sonnait trop prétentieux à ses oreilles. Seuls ses parents l'appelaient ainsi. Jamais il n'aurait dû révéler son véritable patronyme à Brieuc. Théodore Augustin D'Arcy. Difficile de trouver plus pompeux. Le garçon qui lui plaisait aimait se jouer de lui. Néanmoins, il était incapable de lui en vouloir réellement. Pas quand ses yeux bleu océan le regardaient avec malice. Brieuc avait les yeux les plus incroyables, il avait parfois l'impression de voir des vagues danser dans ses iris.

— M'accorderez-vous cette danse, Monsieur Darcy ? interrogea Brieuc en tendant une main vers lui.

Théo soupira, exaspéré par ce second surnom. Il renonça à lui expliquer une nouvelle fois que son nom comportait une particule, que tout n'était pas attaché, mais à quoi bon se répéter ? Il savait que le blond faisait exprès de le comparer au personnage de fiction de Jane Austen. Au lieu de le rembarrer, il mit sa fierté de côté et saisit sa main. Ces moments où Brieuc prenait l'initiative étaient trop rares pour qu'il les laisse passer. Il se laissa donc entraîner sur le pont supérieur du bateau, où les invités sirotaient des cocktails en dansant.

Théo leva ses yeux noirs vers son cavalier, hésitant sur le comportement à adopter. Bien qu'il ne le montrait pas, ses rejets commençaient à être douloureux. Il ne savait plus comment agir avec lui. Son cœur s'emballa lorsque le blond passa ses mains autour de sa nuque et se rapprocha de lui. Théo glissa les siennes sur ses hanches. L'océan qui voguait dans le regard de Brieuc était calme. Il le trouva plus beau encore sous la lumière tamisée des lampions.

Brieuc esquissa un sourire doux et posa sa tête contre sa poitrine, se laissant balancer au rythme de la musique lente. Son partenaire écarquilla les yeux de surprise, inspira les effluves de son parfum qui chatouillaient ses narines. Profitant du moment, Théo enlaça son cavalier. Pourquoi le faisait-il tourner en bourrique comme ça ? Ils se connaissaient depuis six ans maintenant, et il y avait toujours eu ce petit truc entre eux, cette étincelle attractive qui les poussait l'un vers l'autre. D'aussi loin que se souvenait Théo, il avait toujours aimé Brieuc. Il avait craqué dès le premier jour, quand il avait croisé ses prunelles bleues. Et depuis tout ce temps, il souffrait durant l'année scolaire, attendait avec impatience les vacances d'été, pour rejoindre la maison de ses parents en Bretagne. Pour rejoindre Brieuc.

— Ça va ? interrogea ce dernier.

Théo hocha la tête, touché qu'il lui pose la question. Il n'avait jamais été à l'aise sur l'eau. Il adorait pourtant l'océan. Sa beauté l'attirait, mais le terrifiait en même temps. Monter sur ce bateau avait été une épreuve pour lui. Il rêvait souvent qu'il tombait à l'eau et se faisait avaler par les flots. Heureusement, ce soir, la mer était calme.

— Tout va bien. Au pire, votre Raïjan viendra me sauver, plaisanta Théo.

Le parisien avait entendu parler de cette légende des environs par le biais de ses amis de vacances. C'était une histoire qui revenait souvent, ancrée dans les esprits. Les jeunes de son âge y étaient particulièrement attachés, puisqu'il se racontait que Raïjan était un adolescent âgé d'une vingtaine d'années, comme eux. Lors d'une tempête en mer, il avait donné sa vie pour sauver ses proches. La légende disait qu'il s'était transformé en esprit de la mer, chargé d'aider les Hommes en détresse.

Brieuc lâcha un éclat de rire, les yeux brillants, et acquiesça.

— Oui, il viendra si tu passes par-dessus bord. Mais je ne laisserai pas un tel incident se produire.

Théo frissonna en sentant ses doigts caresser avec douceur les mèches brunes qui reposaient sur sa nuque. Qu'est-ce qui le retenait ? Pourquoi le repoussait-il toujours, au dernier moment ? Brieuc était doué pour fuir la conversation et se cacher derrière des traits d'humour. Que voulait-il de plus ?

Soudain, son partenaire de danse se figea et se tendit entre ses bras. Il leva la tête et fixa un point au-dessus de son épaule, quelque part dans la nuit noire.

— Non, souffla-t-il. Pas maintenant.

— Quoi ? questionna Théo, désorienté. Qu'est-ce qui se passe ?

Brieuc ne prit pas la peine de lui répondre, les traits du visage déformés par l'angoisse, il s'échappa et s'éloigna de lui, malgré ses tentatives pour le retenir.

— Attends ! s'écria Théo en tentant de le suivre.

Il jura en regardant autour de lui, alors que la colère montait. Il en avait assez de ses plans, de ses disparitions. Était-il seulement une distraction d'été pour Brieuc ? Bien décidé à avoir une conversation avec lui, il partit à sa recherche. Il l'attendait depuis ses seize ans. Aujourd'hui, il en avait vingt-deux et ne supportait plus de rester dans l'incertitude, il devait savoir. Ce soir, il serait le plus heureux des hommes, ou finirait le cœur brisé.

Il descendit au cœur du bateau, vérifia le salon et la cuisine, puis la salle de bain, mais le blond était introuvable. Il s'avança jusqu'à la corde en velours rouge qui barrait le couloir, interdisant aux invités de se rendre dans cette partie du navire. Théo jeta un regard autour de lui et passa par-dessus. Il se figea à l'angle d'un mur en entendant les bribes d'une conversation.

— Tu es absolument sûr ? demanda Brieuc.

Théo tendit l'oreille, mais seul le silence lui répondit. Un courant d'air froid le fit frissonner.

— Non, tu as raison, tu as bien fait de venir. Je... hésita le blond. Je l'ai aussi senti. Rassemble les Armures, je dois les mettre à l'abri et je vous rejoins.

Abasourdi par la conversation, le Parisien sortit de sa cachette et se figea en constatant que Brieuc était seul. Il n'avait pas de téléphone dans sa main, signe qu'il ne passait pas d'appel. Le hublot à ses côté était ouvert.

— Qu'est-ce que tu fais ? interrogea-t-il, méfiant. À qui tu parles ?

— À personne, se défendit Brieuc en jetant un coup d'œil à sa droite. Tu m'espionnes maintenant ?

— Non, ce n'est pas... Tu passes ton temps à disparaître sans explication, l'accusa Théo en suivant son regard.

Seule une plante décorait le couloir, derrière laquelle personne ne pouvait se cacher. Pourtant, il eut l'impression de voir ses feuilles frémir.

— Parce que ça ne te regarde pas, s'agaça Brieuc en esquissant un geste pour s'en aller.

— Il faut que je te parle, déclara le brun en attrapant son poignet.

— Je n'ai pas le temps.

Brieuc se dégagea d'un geste vif et riva son regard à travers le hublot. Théo recula d'un pas, les lèvres pincées et le cœur bel et bien brisé. Il avait sa réponse.

— Qu'est-ce que tu as de mieux à faire sur un bateau, au milieu de l'océan ? questionna-t-il, acerbe.

— Théo, attention ! s'écria Brieuc en s'élançant dans sa direction.

Marcheurs des profondeursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant