CHAPITRE 3

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Tout était calme. Une noirceur d'encre l'entourait. Une étrange sensation de flottement le berçait. Le froid avait disparu, tout comme la douleur. Ne restait que le murmure des flots contre sa peau. Des voix chuchotaient, venant non pas de l'extérieur, mais bien de l'intérieur, des tréfonds de son esprit. Il ne les comprenait pas, mais elles étaient apaisantes, rassurantes.

Et puis, retentit le cri. Un grondement bestial né des entrailles de l'océan, dont l'onde fit se tendre chacun de ses muscles. C'était un appel. Un appel au combat. La voix dans sa tête se fit plus précise, plus pressante, jusqu'à ce qu'il saisisse enfin les mots et les comprenne.

Lève-toi. Raïjan a besoin de toi.

Théo ouvrir les yeux et inspira avec force. La première chose qu'il vit fut une barrière de corail, assombrie par l'absence de couleur de la nuit. Il n'aurait pas dû la déceler, mais elle était d'une netteté étonnante. Tout près de son visage, il reconnut un verre à pied ébréché. Il fronça les sourcils et se redressa. Le sable sur lequel il reposait s'éleva avec paresse. Ses gestes étaient à la fois lents et légers.

Il n'eut pas l'occasion de comprendre ce qu'il faisait au fond de l'océan, ni comment il pouvait respirer, qu'un nouveau grondement s'éleva. Son corps réagit sans qu'il ne réfléchisse, poussé par un instinct purement primaire. Il répondait à l'appel de son alpha et rien ne pourrait l'en empêcher. Il tendit la main, ordonna à un courant marin de le porter, et se dirigea droit devant lui. Tout était instinctif, lui paraissait naturel. Il devait retrouver son dominant et l'aider, au péril de sa vie. Il ressentait son aura rassurante autour de lui, sa protection.

Théo se figea devant le spectacle qui se déroulait à l'horizon. Une créature gigantesque essayait de sortir d'une faille dans le sol. Les abysses de l'océan, sombres et insondables, laissaient apparaître son buste. Sa peau ressemblait à du cuir dur, saccagé par des plaies profondes, cicatrisées depuis plus ou moins longtemps. Certaines dataient de plusieurs centaines d'années, d'autres de millénaires. Deux longs membres griffus, dont les doigts étaient palmés, s'accrochaient à la paroie rocheuse. Des épines hérissaient son dos, d'où s'échappait un poison verdâtre, et des dents dépassaient de façon désordonnées de sa gueule tordue. Derrière lui, une dizaine de tentacules s'élevaient, s'agitaient pour chasser des silhouettes qui nageaient autour de lui. Théo tenta de repérer ses yeux, mais ses paupières étaient closes. Le monstre était encore endormi.

Il frissonna en l'identifiant. Si le Léviathan venait à sortir complètement de son sommeil, ce serait la fin. Toutes les fibres de son corps ressentaient le danger. Tétanisé par la peur, il observait la centaine de créatures qui s'afféraient à le renvoyer dans son enfer. Tout droit sorties des contes et légendes, des sirènes en armure brandissaient des armes à l'aspect redoutable. Leurs écailles scintillaient à la moindre lueur, leur longue chevelure était tressée pour ne pas les gêner. Et, parmi ces femme-poisson, des hommes, comme lui, maniaient les courants marins. Certains envoyaient des éclairs bleus sur le monstre, qui semblait à peine agacé.

L'aura qu'il avait sentie se rapprochait, douce, mais puissante. Une chaleur nouvelle se répandit dans ses veines. Un grondement sourd retentit et, l'espace d'une seconde, le monde retint son souffle. Long d'une trentaine de mètres, ses écailles d'un bleu nuit polies comme la surface d'un miroir, Raïjan sortit d'un nuage de sable. Son corps mince et agile ondulait dans l'eau avec grâce, mais de larges plaies s'épanouissaient sur son flanc. Théo eut la chance d'apercevoir son regard, dans lequel se déchaînait les vagues. Sa pupille, verticale comme celle d'un félin, était rivée sur son ennemi, farouche et sauvage. Une crête recouvrait son dos, semblable à une fumée bleutée qui ondulait à chacun de ses mouvements. Le bout de sa queue était terminé par des flammes cobalt. Jamais il n'aurait imaginé Raïjan sous la forme d'un dragon d'eau.

Lorsqu'il ouvrit la gueule, se fut pour cracher un feu glacé, qui atteignit le Léviathan au plein poitrail. La bête dérapa en poussant un hurlement et ses griffes déchirèrent le sol pour se retenir. Les paupières de la créature frémirent, mais un chant s'éleva parmi les sirènes, dans une langue que Théo ne comprenait pas. Il devina qu'il s'agissait d'une incantation pour la garder endormie. Avec une rapidité surprenante pour son gabarit, Raïjan percuta le flanc droit de son ennemi pour tenter de le renverser. Néanmoins, ce dernier se montra plus vif que prévu et, d'un mouvement de patte, il le repoussa.

Maintenant.

La voix résonna dans sa tête, comme dans celles de toutes les créatures marines présentes. Même sans savoir quoi faire, Théo sentit l'ordre s'immiscer dans son corps. Ce dernier ne lui obéissait plus, une force bien plus puissante le poussait à aider son alpha. Comme les autres, il fit appel aux courants marins et à la force de l'océan. Au creux de son ventre, il ressentit le tiraillement d'un pouvoir qui ne désirait que sortir. Dans un cri de douleur, il le libéra. L'onde de choc rejoignit celle de ses pairs, au moment où Raïjan crachait ses flammes redoutables.

Le Léviathan poussa un cri déchirant, alors qu'il tentait désespérément de se raccrocher au bord de la faille. Quelques sirènes usèrent de leur pouvoir pour que la roche s'effrite et, faute de prise, le monstre bascula en arrière, rejoignant les abysses. D'un dernier coup de griffes désespéré, il attrapa l'une des sirènes déjà blessée et l'emporta avec lui.

La satisfaction de la victoire fut soufflée par le grondement de désespoir de Raïjan, alors qu'il voyait une de ses Armures disparaître dans les ténèbres, perdue à jamais. Théo ressentit sa douleur profondeur et ferma les yeux pour encaisser, comme s'il l'eut connue personnellement.

Le silence qui suivit fut lourd. Le dragon se pencha dans les abysses, appela sa camarade. L'espoir céda face à la tristesse lorsque la lumière de vie de la sirène s'éteignit. Raïjan resta de longues secondes au bord du précipice. Théo s'approcha de lui en même temps que les autres. Il ne résista pas au lien qui l'unissait à son alpha, accueillit avec bravoure sa peine, comme s'il pouvait le soulager. Il tentait de lui envoyer son soutien en échange. Instinctivement, il lui donnait son énergie.

Le dragon ferma les yeux quelques instants et, après un soupir déchirant, se mit à briller, à tel point que Théo dut détourner le regard. Le lien avec Raïjan s'amoindrit, le fit paniquer, comme s'il était privé de son oxygène. Une bulle sembla éclater autour de lui, le ramena à la réalité. Il n'avait plus de guide, ses instincts primaires avaient disparu. Il n'était plus que lui, Théodore Auguste d'Arcy, entouré de créatures de légendes, au centre desquelles se détachait à présent une silhouette familière. Le dragon d'eau avait laissé place à Brieuc, plus pâle que jamais.

Pris d'un vertige, Théo se laissa tomber à genoux. Par réflexe, il porta une main à sa gorge, les yeux écarquillés, comme s'il se noyait. Pourtant, il n'avait aucune difficulté à respirer. Autour de lui, les sirènes et les quelques hommes remarquèrent enfin sa présence. Différents regards se posèrent sur lui, tantôt accueillants, tantôt tristes. En remarquant le trouble parmi son armée, Brieuc leva les yeux dans sa direction et se décomposa.

- Non... murmura-t-il. Pas toi.

Théo fut saisi d'un nouvel étourdissement. Ce n'était pas possible. Ça ne pouvait pas être réel. Le monde bascula autour de lui et il sombra à nouveau.

Marcheurs des profondeursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant