FRAGMENT 4

70 21 31
                                    

Il fait nuit. Tu te laisses porter par la légère brise. On avance ensemble, vers les horizons engouffrants. La maison semble déjà loin derrière nous, mais ce n'est pas grave. On pourrait la perdre, je me sentirais toujours chez-moi.

Toi aussi? Parfois, j'ai du mal à savoir.

Au centre des plants, Yoongi s'arrête net. Un livre dépasse de sa poche. Son grand t-shirt, trop large pour son corps mince, dessine un drapeau sur Terre, prêt à recueillir les étoiles. Le livre est un livre que Namjoon lui a offert. Les étoiles sont celles auxquelles ils s'offrent. Yoongi, de ses yeux purs, contemple le ciel. Il est une orbe qu'on ne peut connaître, il est une toile d'interrogations, une incompréhension totale. Et pourtant, Yoongi aimerait s'y donner tout entier. Même s'il a peur d'être perdu. Parce que Namjoon est là, il pourrait s'y plonger sans réfléchir.

Une luminescence sacrée, qui les unit, rien qu'un instant.

Il fait nuit mais Namjoon connait trop bien le profil qui se tient devant lui pour qu'il ne parvienne pas à l'observer en détails. Il fait froid mais ils se réchauffent, en étant si près l'un de l'autre. Yoongi ouvre les bras, après avoir passé les deux mains dans ses cheveux ; comme il le fait souvent.

Namjoon l'enlace de dos, vient poser sa joue contre le haut de son visage, respirant le parfum de ses cheveux, imaginant les fleurs qui y sont restées, quelque part dans un autre univers. Namjoon aime penser à tous ces univers. Et sûrement qu'il existe un endroit où ils se regroupent.

Yoongi respire lentement, regarde Namjoon étroitement, en relevant le visage. Leurs yeux sont proches, alors le drapeau aux étoiles remarque les lentilles du concepteur d'univers. Il les voit, légers liserés éclairés autour de pupilles voilées, des pierres drapées, pourtant si jolies. Yoongi l'embrasse, s'empêchant d'imaginer que son amant vérifie son rythme cardiaque ou la température, voire l'amour qui se dégage de ce baiser. Il n'a aucune idée de l'étendue de cette technologie, et cela le terrifie.

Au loin, on peut apercevoir la ville. Une étrange lueur, artificielle, superficielle, et des vaisseaux qui la survolent. La situation y est tendue, parait-il. Mais Yoongi n'y pense pas. Namjoon non plus. Parce qu'ils s'embrassent encore, et encore ; que Namjoon passe sa main sous le t-shirt de l'autre homme, y laisse pénétrer toute la brise. Frissons exaltés, Yoongi se sent emporté, vivant. La chaleur vive des doigts de Namjoon parcourt son cou puis son torse, accompagné par la fraîcheur de la nuit, celle des étoiles. Yoongi le prend pour un semeur d'astres. Et il est persuadé que cette nuit, quand ils feront l'Amour, ces étoiles logées sous son t-shirt se répandront dans leur chambre, sur tous les murs, dans chaque recoin.

Un vaisseau passe non-loin des corps unis. Ils se délient, par instinct. Yoongi rougit, est heureux que personne ne puisse le voir, dans cette obscurité environnante. Il n'aime pas réellement partager ce qu'il ressent, ses craintes et ses peines.

Je t'ai vu embarrassé, malgré l'obscurité. C'était joli, cette vulnérabilité. Tu n'as pas à en être effrayé.

Puis Namjoon s'avance, regarde le ciel. Yoongi est d'abord subjugué par la douceur de l'acte, par la mâchoire de cet homme avec qui il partage tant. Puis il remarque que les yeux de Namjoon brillent, d'une autre lumière que celle des étoiles. Comme deux ampoules, perdues au centre d'un visage organique ; deux points lumineux désordonnant une harmonie naturelle.

- Que fais-tu. dit-il sèchement.

- J'essaie une option que je suis en train de développer. Si elle s'avère fonctionnelle, on pourra filmer de courts instants de vie, rien qu'avec ces lentilles. Ne serait-ce pas formidable, de les garder éternels?

- Je ne sais pas.

- Tu ne sais pas?

Namjoon l'interroge de tout son être, surpris de le découvrir si froid et pessimiste.

- Pourquoi ne pas essayer de les garder dans le cœur?

Yoongi a alors l'air empli d'espoir, de propositions, de solutions.

- Voyons, Yoongi. On ne peut pas tout retenir, tu le sais bien.

- C'est peut-être que tout n'en vaut pas la peine.

- Je ne te suis pas.

- Si l'on est incapable de se souvenir d'un évènement, à quoi bon vouloir le rendre éternel? Ne crois-tu pas que l'infini est quelque chose qui nous marque? Que si l'on doit se rappeler quelque chose, si l'on veut vraiment se rappeler quelque chose, alors rien n'est plus naturel?

- Le naturel. Cela fait bien longtemps que Nous ne Nous préoccupons plus du naturel, Yoongi.

Une pause se marque.

- Et ce qu'on vit, alors. Tu ne t'en préoccupes pas? La beauté qui nous entoure, les étoiles, les arbres, les champs. Quand on est dans le lit, à deux, rien qu'à deux. Tu ne t'en préoccupes pas? Toutes ces choses sont complètement naturelles, Namjoon, et ne me dis pas qu'elles ne comptent pas à tes yeux.

A ces mots, Namjoon ne sait plus répondre. Il s'approche de Yoongi, qui le repousse d'abord, puis le laisse venir. L'un contre l'autre, poitrine contre poitrine, il l'entend s'excuser.

- Je t'aime, tu sais.

- Je sais... Excuse-moi, je n'aurais pas dû m'emporter.

Ils s'admirent, et Yoongi oublie presque ces lentilles qui couvrent leur regard. Ils rentrent main dans la main, somnolant. Arrivés, Yoongi s'affale dans le lit, entraînant Namjoon à son tour. L'amoureux des livres s'endort contre le cœur qui s'anime pour lui, devenant alors son chez-lui, s'il ne l'a pas toujours été. Et Namjoon ne fait même pas réellement attention aux chiffres qu'indique son invention.

Regarde-Moi - NamgiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant