FRAGMENT 5

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Yoongi marche sur le parquet, frais. L'hiver s'invite dans leur demeure, ne demandant pas la permission. Yoongi apprécie les frissons légers qui parcourent son corps, redressent chacun de ses poils. Ils le font se sentir plus vivant. Il ne fait plus si froid que ça, en hiver, mais la différence de température est suffisante pour les provoquer. Il aime l'hiver, se dit que c'était sans aucun doute incroyable, quand il neigeait encore sur cette planète. Il frôle le canapé du bout des doigts, effleure la table qu'ils ont montée il n'y a pas si longtemps que ça, attrape un livre qui y repose.

Assis dans le canapé, il le feuillète. C'est un livre qu'il connaît par cœur, dont il pourrait réciter les passages les plus importants. Il le lisait, quand Namjoon s'est retrouvé devant ses yeux pour la première fois ; il n'avait pas encore ses lentilles.

Yoongi était assis sur un banc, devant l'océan. Il feuilletait les pages de ce livre absorbant, s'y donnait tout entier. La mélodie des vagues violentes berçait ses oreilles telle une houle d'étoiles, et le vent, en adoucies bourrasques, enflammait sa chemise large. C'était une plage sans sable, une plage de galets, avec une digue qui s'avançait vers les infinis. Un chemin vers l'horizon, qui aurait pu mener à leur maison. Puis il est apparu. Namjoon. Il s'est simplement assis sur le banc, à écouter les vagues. Yoongi ne l'a d'abord pas remarqué, mais c'est lorsqu'il a respiré que quelque chose a marqué son cœur à l'encre-océan. Quand il a pris cette grande inspiration, absorbant toute l'atmosphère, les yeux fermés et un sourire en coin. Yoongi s'est dit que c'était rare, les hommes qui savaient apprécier l'extérieur pour ce qu'il était. Et Namjoon l'a regardé, quand ses yeux se sont rouverts. Vision.

Yoongi sourit. Il lit quelques pages du livre, puis le repose soigneusement à sa place. Lorsqu'il se relève, il jette un oeil à la chambre, vide. Puis il se rend dans l'embrasure du bureau. Il y voit Namjoon, affalé contre ses plans, devant un ordinateur à l'écran fin, projetant le clavier sur son visage assoupi. L'air affolé, même endormi. Pour la première fois Yoongi a dormi seul, cette nuit.

Il quitte la scène un pincement au cœur, enjambe l'aspirateur qui nettoie le sol, s'assoit sur le siège de velours noir, effleure les océans blancs, s'approprie les digues noires qui s'y avancent. Il appuie faiblement sur l'une d'elles, une note s'enfuit timidement ; on entend le marteau frapper la corde autant que cette note. Une, puis deux ; ayant premièrement peur de réveiller son amant. Puis il se dit que ce n'est pas si grave.

Alors il joue du Chopin. Une étude, qui fait trembler les lieux de sa vélocité, on entend même les doigts frapper les touches, on entend même les gouttes de sueur glisser le long de son front. Et le piano, majestueux, qui semble grandir de plus en plus, envahir la pièce. Des velléités de conquête se devinent dans la mélodie, qui s'immisce dans chaque partie de la maison. Bientôt le clavier n'en devient plus qu'un martyre, recevant les peines enfouies de Yoongi. Il se déchaîne, laissant s'échapper toutes ses pensées et ses douleurs, certaines insoupçonnées.

La mélodie est belle, de loin. Comme de jolis rochers dépassant de l'océan. Ne faut-il alors pas se rapprocher, sous peine de se faire couper, déchiqueter par les pointes minérales, aiguisées.

Quand il a terminé, Namjoon est là, debout derrière lui, à l'observer.

- Que tu es beau.

Yoongi ne répond pas. Il hoche la tête simplement, lâchant un vague sourire, puis le laisse l'embrasser.

Regarde-Moi - NamgiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant