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PDV Tom: 

Je tâte mes haricots du bout de la fourchette.

-Tu manges pas ? s'exclame Luke, la bouche pleine, en tendant déjà la main vers mon plat.

Je secoue la tête en fronçant les sourcils et pousse mon assiette vers lui. Non seulement, je déteste les haricots mais en plus, avec les portions congrues qu'on nous sert dans la grande majorité des foyers, j'ai appris à contrôler ma faim et à réduire mon appétit. Alors ce soir, même si j'ai l'estomac vide, je réussirais à me passer de leurs haricots dégueulasses. Luke semble sincèrement content d'avoir une ration de plus et ne se prive pas de ramener l'assiette à côté de lui avant de repiocher dans son assiette encore pleine.

Je soupire en regardant autour de moi. Tous les jeunes sont attablés autour des tables circulaires. Il est facile de reconnaitre, parmi tous ces adolescents, ceux qui font régir les lois au sein du foyer et ceux qui obéissent à ces lois. Les premiers restent en groupe, comme des prédateurs et passent leur temps à scanner le self avec leurs yeux d'aigle, à la recherche d'une proie à abattre. Les deuxièmes, eux, se tiennent avachis, les épaules voutées, ont un regard fuyant et mangent seuls. 

Luke et moi sommes dans l'entre-deux. Pas assez connard pour faire partie des caïds mais pas assez cons pour être du côté des trop gentils qui se laissent faire.

Ici, on obéit aux lois du foyer mais aussi aux lois des caïds. Les premières se concentrent sur faire régner un semblant « d'ordre ». Couvre-feu à 21h00, un appel par semaine à qui on veut, réveil à 7h30. Les deuxièmes ont su s'immiscer parmi les premières pour faire du foyer, un enfer encore plus violent. Les faibles sont désignés pour faire le guet quand les plus forts veulent sortir, ils donnent leur ticket d'appel aux leaders, ils s'approvisionnent en cigarettes pour eux.

Hors de question de désobéir ou on finit défigurer, un bras cassé, deux yeux au beurre noirs et notre vie se transforme en enfer à proprement parlé. Et faut pas compter sur les éducateurs pour arrêter ces guérillas. Quand je dis qu'ils sont là pour faire régner un « semblant d'ordre », je pèse mes mots. L'ordre, ils le font régner quand ils sont sûrs que ça va créer encore plus de soucis, plus de haine, plus de frustration.

En soi, ils en ont rien à foutre qu'on rentre à 21h30 ou 00h00. Ce qu'ils aiment, eux, c'est sévir. Punir. Nous prendre sur le fait. Nous voir souffrir. Et c'est la même chose pour les règlements de compte entre jeunes au sein même du foyer. Rien à foutre si du sang éclaboussent les murs, des os sont pétés. Non, pour eux, c'est une attraction. Un show perpétuel. Un plaisir malsain.

Je fronce les sourcils quand je sens une main frapper l'arrière de ma tête. En face moi, je vois le visage de Luke se contracter. Je retiens un soupir en sachant déjà pertinemment qui est derrière moi.

-Qu'est-ce que tu veux Ben ? je lâche, blasé.

Ce dernier me donne un autre taquet, plus fort cette fois, m'arrachant une grimace agacée. Il enserre ses doigts autour de ma nuque. Je ferme les yeux, me faisant violence pour ne pas m'emporter contre lui.

-Regarde-moi quand tu me parles Nightkley.

Je soupire et me tourne lentement vers Ben, qui a toujours les doigts sur ma nuque et qui serre de plus en plus fort.

-Qu'est-ce que tu veux ? je répète.

Il se penche vers moi et son regard mauvais me fixe.

-Juste te faire chier Nightkley, il chuchote.

Il se redresse et me lâche la nuque.

-Tu bouffes pas ? il demande en désignant mon assiette pleine à côté de celle de Luke.

PULL THE TRIGGEROù les histoires vivent. Découvrez maintenant