Cinq courts écrits

Texte 2

Il marche. Le jeune randonneur au sourire béat a tout la vie devant lui et tout la journée pour arriver au sommet de cette montagne qu'il connaît si bien. Il l'a conquise déjà quatre fois. Il n'y en a que pour six heures allé-retour.Mais il n'est pas seul. Il est avec son père, celui qui lui a donné l'amour de la marche, enfant, en l'emmenant au sommet des terrils du nord. Et aujourd'hui, c'est le fils qui emmène son père au sommet d'une montagne du sud.Le jeune se retourne pour admirer son héros en action mais ce-dernier est loin derrière. Il le voit, l'entend haleter et perd son sourire. Le père semble si petit au milieu des arbres géants et de la nature environnante, à grimper une pente de terre foncée jonchée de cailloux, feuilles mortes et autres débris de végétaux. La sueur dégouline de son crâne dégarni, de son dos souffrant et de son ventre mou. L'ombre des bouleaux cachent à peine les grimaces d'effort du visage attaqué par le vécu. Il s'appuie sur un bâton qu'il a ramassé et chaque pas semble de plus en plus pénible. Il galère à une montée qui n'est pourtant pas si difficile !Le père trébuche sur une racine et se rattrape de justesse. Il décide de prendre une pause et s'assied laborieusement sur un rocher. Il tente de récupérer son souffle perdu depuis longtemps. Il peste contre des insectes qui l'ennuient. Il n'arrive pas à profiter de la beauté alentour ni à entendre les oiseaux gazouiller.Comment dix petites années peuvent-elles faire ça à un homme ? Où est passé son héros plus fort que tout ?Il n'est pas invincible ni immortel et ne l'a jamais été. C'est un homme comme les autres, un homme vieilli.Ses blessures, ses maladies, ses bêtises passées le rattrapent puisqu'il ne marche plus aussi vite qu'avant.Le fils retourne près de son père et lui propose d'abandonner. Qu'est-ce qu'il lui a pris de l'emmener pour une marche si dure ? Comment a-t-il pu croire qu'il en était capable ?