Chapitre 7

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♫ Fix You - Coldplay

"Valentine !"

La jeune femme sursauta presque en entendant la voix de sa mère appeler son prénom. Cela faisait bien longtemps qu'elles ne s'étaient pas retrouvées au même endroit, au même moment. Leurs emplois du temps n'étaient pas compatibles, et bien souvent, quand sa mère rentrait du travail, Valentine était déjà endormie ; quand la jeune femme se réveillait, sa mère était déjà partie.

Ainsi, lorsqu'elle l'appela, Valentine courut presque la rejoindre. Dans la cuisine, Aurore Perez - même si son nom ne tarderait plus à changer - venait de poser sur la table des sacs remplis de courses. Elle semblait essoufflée.

"Maman, tu aurais dû m'envoyer un sms, je t'aurais aidé à monter.

- Mais non, ma puce, c'est pas grave."

Valentine savait très bien que c'était grave. Elles vivaient au quatrième étage, et, une fois n'était pas coutume, l'ascenseur était en panne. La jeune femme grimaça.

"Maman. Je suis sérieuse. Appelle moi la prochaine fois.

- D'accord, d'accord. Ranges les conserves, s'il te plaît.

- Tu as pris rendez-vous chez l'osthéo ?

- Je n'ai pas le temps, Val.

- Maman, il faut vraiment que-

- Valentine. S'il te plaît."

Elle regarda à nouveau sa mère, et elle réalisa avec la force d'un coup de poing à quel point elle avait l'air épuisée. Ses yeux étaient profondément cernés. Son teint d'ordinaire brillant était ternes. Des racines blanches se dissimulaient à peine dans ses cheveux blonds. Ses joues commençaient à se creuser. Valentine eut envie de la secouer. De lui faire promettre de ne pas se laisser aller. Mais elle préféra se taire. Sa mère avait déjà trop de raisons de se faire du soucis. Elle ne préférait pas en rajouter. Alors elle l'aida simplement à ranger les courses, parlant de tout et de rien.

"Elle est où Laura ? Finit par demander Valentine.

- Chez papa."

Valentine ne pouvait que remarquer le changement dans la voix de sa mère. A quel point son ton s'était brusquement durci. La manière dont elle avait craché le mot "papa" comme s'il s'agissait d'une insulte ravageuse. Cela n'avait rien d'étonnant. Et au fond, Valentine s'en voulait de partager cette rancœur. Le divorce de ses parents avaient été un choc. Pour tout le monde. Aurore et Daniel Perez formaient la famille parfaite. Au moment où la situation avait éclatée, Laura n'avait que six ans.

C'était Valentine qui avait découvert le pot aux roses. Ça avait commencé avec des coups de fil passés tard le soir, quand sa mère était couchée. Puis, des absences répétées. Valentine s'attendait à tout. Son entreprise était peut être en pleine faillite, et menaçait de le renvoyer ? Peut-être qu'un membre de sa famille avait des soucis de santé, et n'osait pas leur parler pour ne pas les inquiéter ? Peut être que lui-même avait une maladie cachée - pensée qui tenait Valentine éveillée tard dans la nuit, dévorée par l'angoisse.

Une chose était certaine, elle ne s'attendait pas à trouver son père avec une autre. Pour une fois, son bus avait du retard, et elle devait absolument arriver à l'heure à la fac. Pour une fois, elle s'y était donc rendue à pieds. Et sur le trajet, elle passait devant l'agence immobilière de son père. Elle avait voulu passer lui dire bonjour.

Il s'était avéré que sa maîtresse avait eu la même idée.

Quelque chose s'était brisé en elle, à cet instant. Son père eut beau la supplier, tenter de l'acheter en lui promettant de superbes cadeaux, elle ne voulut rien entendre. Même quand il se mit à pleurer devant elle, elle ne voulut rien entendre. A vrai dire, elle se fichait pas mal de lui. Ses pensées étaient entièrement concentrées sur sa mère. Et sur sa soeur. Elle l'avait forcé à avouer, le menaçant de le faire s'il n'obtempérait pas.

Tout ça c'était passé six mois auparavant. A l'époque, Valentine avait pris le premier train pour rejoindre Louis dans son petit studio étudiant. Il l'avait serrée dans ses bras pendant qu'elle pleurait à s'en arracher les cordes vocales. Il lui avait murmuré à l'oreille que tout allait bien. Qu'il était là. Et elle s'était endormie dans ses bras, rassurée.

Valentine manqua de faire tomber un paquet de poulet surgelé en songeant à ces mots. "Je suis là". Elle avait envie de retourner dans le passé, de le traîner hors du lit, le chopper par le cou et lui mettre une paire de claques. De lui hurler au visage, "Menteur, t'en pensais pas un traître mot, regarde moi, six mois plus tard, je vais pas mieux et toi t'es plus là, t'es un connard, comme mon père, une pourriture". Elle soupira, et son coeur se serra lorsqu'elle sentit la main de sa mère sur son épaule.

"Tout va bien, ma puce ?

- Oui, maman, t'en fais pas. Juste... fatiguée.

- Tu devrais te reposer. Pourquoi ne pas inviter Louis à passer ce soir ? J'ai croisé Catherine au supermarché. Elle m'a dit qu'il était rentré, tu le savais ?"

Valentine serra les dents. Elle ne voulait pas. Elle ne voulait pas en parler à sa mère. Elle ne voulait pas l'inquiéter davantage. Elle avait déjà trop de choses à gérer, et Valentine ne pouvait pas être un poids supplémentaire ; elle se l'interdisait. Alors elle regarda sa mère. Sourit. Et secoua la tête, l'air de rien.

"Oui oui, on s'est vus tout à l'heure. Je lui ai proposé, mais il a beaucoup de boulot... Tu sais, la fac de sciences...

- Oh, oui, je n'y avais pas pensé, acquiesça sa mère. Les partiels sont bientôt."

Valentine tenta de rester impassible. Oui. Encore un élément de sa vie qu'elle était en train de royalement foirer. Combien de mensonges devrait-elle accumuler, pour ne pas laisser paraître le désastre qu'elle était ? Elle avait toujours été proche de sa mère. Relation mère-fille "fusionnelle", comme on dit. Elle lui disait tout, dans la limite du raisonnable. C'était vers elle qu'elle se tournait quand elle avait besoin de conseils, d'un regard rétrospectif sur l'enfance, l'adolescence, et maintenant la vie de jeune adulte. Et sans ce repère qu'était sa mère, Valentine ne pouvait être que déboussolée. "C'est peut-être ça, être adulte," pensa-t-elle, "devoir gérer nous-même le bordel dans nos vies, sans aide extérieure." Si c'était ça, la vie d'adulte, alors elle avait dû manquer une étape dans sa formation.

Son téléphone vibra dans sa poche. Elle y jeta un coup d'oeil discret, et sourit sans s'en rendre compte, sous le regard observateur et curieux de sa mère.

"C'est Sabela ? S'enquérit cette dernière.

- N-Non, c'est une... pote que je viens de rencontrer, tenta d'expliquer Valentine.

- Comment elle s'appelle ?

- Carole.

- Et comment tu l'as rencontrée ?

- Maman, tu me fais un interrogatoire ? Taquina la jeune femme.

- Mais non ! Je m'intéresse à la vie de ma fille.

- Je l'ai rencontrée en achetant le cadeau de Louis."

Après tout, ce n'était qu'un semi-mensonge. Ce qui était mieux que rien. Elle répondit rapidement à Carole avant de retourner son attention pleinement vers sa mère.

"C'est bien, que tu rencontres des gens. Je te trouve isolée, depuis que tu es à la fac.

- Mais de quoi tu parles, maman ? J'ai Sabela !

- Que tu connais depuis le primaire, précisa sa mère.

- C'est vrai, mais tu sais, mes potes de lycée, ils sont tous partis aux quatre coins de la France...

- Et à la fac ? Tu ne t'aies pas fait d'amis ? C'est ta troisième année.

- C'est pas simple, répondit-elle en haussant les épaules. On est plus de cent en amphi, et les gens sont assez... personnels. Ils restent en groupe déjà formés, et cherchent pas spécialement à discuter."

Elle réalisa qu'elle n'avait jamais parlé de cela à sa mère. Il s'agissait d'un problème qu'elle rencontrait depuis trois ans maintenant - pourquoi ne lui partager que maintenant ? La situation entre elles était-elle plus grave que ce que Valentine s'était imaginée ? Elle secoua la tête mentalement. Non. Il n'y avait rien de grave. C'était normal, de parfois, de moins réussir à communiquer. Du moins elle l'espérait. Elle n'avait jamais rencontré de pareille situation.

Elle s'approcha de sa mère, déposa un baiser volatile sur sa joue, et partit rejoindre sa chambre.

Christmas Carole [TERMINE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant