Chapitre 8

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♫ Girl on Fire - Alicia Keys

Lorsque le téléphone de Valentine vibra, elle s'attendait à une notification des plus banales, une alerte sur un de ses réseaux sociaux. Cependant, elle avait bien besoin d'une distraction pour la sortir de ses assommantes révisions, alors elle saisit nonchalamment l'appareil ; et écarquilla les yeux en voyant un message de Carole s'afficher. Carole qui proposait qu'elles se retrouvent, pour boire un café, dans l'après-midi. Elle ne faisait pas mention de Sabela... alors, Valentine supposa que la proposition ne les concernait qu'elles. Ses joues se mirent à brûler. C'était si inattendu qu'elle mit un moment à rassembler ses pensées pour répondre. Evidemment, elle accepta.

Dans sa salle de bain, où elle avait prévu de se préparer très sommairement, le regard de Valentine se perdit sur la petite étagère où elle rangeait son maquillage. Depuis le message de Louis, elle était l'ombre d'elle même, et elle s'en voulait. Car son visage terne et ses cheveux en vrac étaient un rappel quotidien de la douleur que lui causait son ex, de l'emprise qu'il avait encore sur elle. Elle ne voulait pas lui offrir cette victoire. Elle ne voulait pas être défaitiste, se dire que mettre du mascara serait inutile, puisqu'il finirait sur ses joues après une énième crise de larmes. Non, aujourd'hui, pas de pleurs.

Cils noirs, lèvres rouges, cheveux coiffés. Cela faisait quelques jours qu'elle ne s'était pas vue comme ça, et devait avouer qu'elle aimait beaucoup l'image que son miroir lui renvoyait. Elle avait l'air normale. Prête à affronter le reste du monde. Elle sourit à son reflet, attrapa son sac et en un instant, elle était dehors, plongée dans le froid de décembre.

Était-ce elle, où la mièvrerie ambiante n'était pas aussi étouffante, ce jour là ? Aujourd'hui, l'air saturé en sucre ne lui donnait pas la nausée, et la musique qui échappait des haut-parleurs ne lui provoquait aucune migraine. Elle ne serait pas allée jusqu'à dire qu'elle passait le meilleur moment de sa vie - elle devait encore se concentrer pour éviter de laisser son esprit sombrer dans des pensées mélancoliques, mais au moins, elle n'avait plus la sensation qu'elle allait s'écrouler à chaque pas. La perspective de retrouver Carole lui faisait étrangement beaucoup de bien, et cela n'était pas pour lui déplaire.

Descendre les escalators. Attendre. Monter dans le métro. Attendre. Sortir. Presser le pas dans le froid. Elle effectuait toutes ces actions avec empressement, se posant mille questions tout en jetant des coups d'œil nerveux à sa montre. Pourquoi Carole avait voulu la voir elle, et pas Sabela ? Elles avait eu l'air de bien s'entendre, pourtant ? Est-ce qu'elles allaient avoir des choses à se dire. Elle accéléra. Pas question d'être en retard.

Lorsqu'elle arriva devant le café où elles s'étaient donné rendez-vous, Carole l'attendait, les yeux vissés sur son portable. Même avec son long manteau noir et ses bottines assorties, qui auraient pu rendre n'importe qui banal, elle ne passait pas inaperçue. De là où elle se trouvait, Valentine pouvait même voir briller son septum, ainsi que les petits bijoux dorés que Carole avaient glissé dans ses cheveux, qui étaient désormais coiffés en tresses. Il ne fallut pas longtemps à la jeune femme pour relever la tête et sourire à Valentine. Comme si elle avait senti sa présence, par un mystère qu'elle ne s'expliquait pas.

Elles se rejoignirent et, après un échange de banalités, elles s'engouffrèrent dans le café, où la chaleur arracha à Valentine un soupir de soulagement. Si Carole semblait parfaitement s'accommoder du froid, ce n'était définitivement pas son cas. Une fois confortablement installées, deux cappuccinos fumant entre elles, Valentine eut un bref accès de panique. Et puis elle vit son sourire. Le genre qui adoucit les cœurs et réchauffe les soirées d'hiver.

"Comment tu te sens ? Commença Carole."

Sa voix était plus douce que dans les souvenirs de Valentine.

"Bien. Mieux. Plus comme quelqu'un qui pleure dans les magasins."

Sa réponse arracha à Carole un rire cristallin, qui résonna entre les murs du café et dans les oreilles de Valentine, qui sourit à son tour. Elle se dit qu'elle aimerait faire naître ce rire à nouveau.

"J'ai suivi tes conseils. Poursuivit Valentine. Le jour où on s'est rencontrées. Je me suis enfermée dans ma chambre et j'ai pleuré en écoutant du Lana Del Rey.

- Thérapeutique, n'est-ce-pas ?

- Ouais. Franchement, je ne pensais pas que des chansons aussi tristes pourraient me faire autant de bien.

- Je te le fais pas dire ! Je les écoutais en boucle, quand je me suis faite larguer, confia Carole.

- Je vois qu'on est toutes les deux tombées sur des connards."

Carole pouffa, et avant que Valentine n'ait pu lui demander ce qu'elle avait bien pu dire de si drôle, Carole lui offrit sa réponse.

"Connasse, dans mon cas.

- Oh. Oh ! Désolée, je.. bafouilla Valentine.

- Eh, c'est rien ! C'est pas écrit "lesbienne" sur mon front."

Toujours était-il que Valentine, rouge de honte, ne put s'empêcher d'attraper sa tasse pour boire une grande gorgée de sa boisson, espérant que cela masquerait son embarras. Fort heureusement, Carole, qui semblait lire en elle avec une facilité déconcertante, changea de sujet.

"Vous vous connaissez depuis longtemps, Sabela et toi ?

- On s'est rencontrées quand on avait... huit ans, si je me souviens bien. Sabela venait d'arriver en France. C'était la petite nouvelle, et quand j'étais gamine, je parlais à tout le monde... voilà. On s'est plus lâchées.

- Vous avez l'air super proches. Mais totalement différentes ! Il ne me semble pas que tu écrives des fan-fictions..

- Non, confirma Valentine en riant. Non, mais je m'y intéresse. Parce que ça la passionne.

- C'est précieux, une amitié comme ça. Constata Carole en soufflant sur sa boisson."

Valentine ne put qu'acquiescer. Elle profita d'un moment d'inattention de la part de Carole pour l'observer. Son septum brillait, étoile dans un ciel sombre. Ses yeux noirs étaient fixés sur la tasse, mais Valentine pouvait tout de même y percevoir cette petite lueur, la petite étincelle de douceur qu'elle avait remarqué dès le premier jour. Ses cheveux tirés en tresses changeaient légèrement son visage, mais elle n'était pas moins jolie. Loin de là. Se rendant compte qu'elle était restée mutique pendant de longues secondes, elle s'éclaircit la gorge.

"Parle moi un peu de toi ! Demanda-t-elle. J'ai déjà trop parlé de ma vie. A ton tour."

Carole releva les yeux, et un sourire complice naquit sur ses lèvres carmines. Sourire qu'évidemment, Valentine lui rendit.

"Moi ? Hm... Bonjour, je m'appelle Carole, j'ai 22 ans, commença-t-elle sur le ton de la plaisanterie. Je suis vendeuse dans un magasin d'une grande chaîne horrible en termes d'éthique, mais malheureusement il faut bien payer les factures et c'est pas facile de se faire embaucher. Et à côté de ça, je suis en master !

- En master ? Mais c'est super ! En quoi ?

- En gros, master pour être institutrice. Ca a toujours été mon rêve de m'occuper d'enfants... Alors voilà.

- Mais c'est génial ! S'enthousiasma Valentine."

Elle qui n'avait jamais eu de véritable métier de rêve trouvait l'ambition de Carole vraiment remarquable. Valentine s'était retrouvée dans ses études de droit un peu par hasard, parce qu'il fallait jouer la sécurité, et avait toujours été admirative de ceux qui se connaissaient assez pour savoir ce qu'il voulait faire de leur vie pendant les prochaines décennies. Et lorsqu'elle vit le sourire de Carole, elle sentit les commissures de ses lèvres se lever.

"Ouais. C'est... compliqué, de gérer les études et le boulot. Mais je sais pourquoi je le fais.

- Mon petit doigt me dit que tu seras une institutrice géniale.

- T'es pas obligée de me flatter, gloussa Carole.

- Mais je te flatte pas ! J'y crois vraiment. J'ai pu voir moi-même ta gentillesse à l'oeuvre."

Même si elle tentait de le cacher, le sourire de Carole en disant long : elle était touchée.

Et ce sourire, Valentine se dit qu'elle voulait le revoir, encore et encore.


Christmas Carole [TERMINE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant