Lettre 3

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Vers dix sept heures je me suis réveillée, je me sentais beaucoup mieux. Je me suis levée, j'ai ouvert ma fenêtre en grand et je me suis mise sur l'ordinateur. J'ai imprimé des posters de vieux films, des vues sur Paris type rétro, en noir et blanc, dans les années trente. Je ne sais pas pourquoi mais je suis passionnée par tout ce qui est rétro, les photos de familles dans les années quarante, en noir et blanc, en sépia, les photos de classe à l'ancienne, les photographies de personnes immigrés, dans la pauvreté. Toutes ses photos là sont magnifiques, je les ai imprimées sur du papier cartonner découpé à la forme d'un timbre poste, les mêmes vaguelettes sur les contours et accrochés un peu partout dans ma chambre, des photos d'ouvriers aussi assis sur une grue, au dessus du vide, à la hauteur d'un gratte ciel, sans sécurité, pour la pause déjeuner. J'adore le monde rétro, sûrement parce ce que je suis sombre dans la façon de me vêtir, le noir et blanc m'irais très bien, le sépia également. J'aime le crépitement des premières projections de films en noir et blanc, le son de disques vinyles.
Bref, je projette, avec mon vidéo projecteur, un film de Marilyn Monroe du nom de "Certains l'aiment chaud,", je l'ai déjà vu des milliers de fois mais je l'adore. Je regarde à peine le film, je mets par dessus Somewhere Only We Know de Lily Allen et je me replonge dans ma lecture, affalée sur mon lit. Ma mère ne l'accepte pas, elle frappe à ma porte et me hurle un "sors de cette chambre, on sort !".
Je me suis levée, j'ai mis mes écouteurs dans mes oreilles et j'ai lancé ma musique puis je suis sortie de la chambre, j'ai fermé la porte derrière moi et je suis sortie avec ma mère. Nous sommes allées nous balader vers Beaubourg, ma mère est ensuite allée faire du shopping à Opéra. J'ai attendu, assise près des cabines d'essayage.
La plupart de mes tenues se résument à des collants très fins et noirs, des robes noires, des shorts noirs, des jupes noires et des vestes noires, des chaussures noires. Je ne mets aucun jean. Je n'en ai pas tout simplement parce que je suis trop maigre, je flotte même dans un slim et quelques leggings pas assez serrés, je suis trop maigre, mes os pointus ressortent de partout, cela renforce ma fragilité et me rends nulle en sport, sauf pour l'équitation et le jiujitsu, un sport de combat dans lequel je suis assez forte ainsi que le Ping pong et le tennis mais pour le reste... Dès que je cours je tombe, comme si je n'avais pas de propre équilibre, certains médecins disent et que c'est lié à mon oreille interne qui a quelques beugs, moi je pense que c'est tout simplement le fait que, moi, sac d'os, je n'ai pas la carrure d'une fille qui peut courir.
Bref, pendant que ma mère essayait des fringues, j'ai regardé les robes tout en sachant parfaitement que je n'aurai le droit d'en avoir aucune. Nous avons finit par rentrer et j'ai décidé d'aller chez Axel lui rendre son sweat.
C'est sa mère qui m'a ouvert.
"Axel est là ? demandais-je."
- Vous êtes ?
- Je suis dans sa classe...
- La rentrée est dans une semaine, ça m'étonnerait !
- Enfin, l'année dernière quoi, je peux entrer ?
- C'est pour quoi ?
- Bas pour lui parler, un peu...
Axel a descendu les escaliers et m'a faite entrer sans la bénédiction de sa mère qui n'avait pas l'air très sympathique, je devrais peut être lui présenter la mienne.
Je lui ai rendu son sweat.
- Ça va mieux ? me demanda t-il.
- Beaucoup mieux ! répondis-je.
Il a acquiescé et nous sommes sortis nous balader.
- On va où ?
Il ne m'a pas répondu. Il a détaché un vélib et l'a enfourché.
"Tu montes ?"
Je suis montée.
"Je peux te poser une question ? lança-t-il après avoir laissé' planer un long silence."
- ...
- Je prends ça pour un oui, tu manges ?
- ...
- T'as perdu ta langue ?
- Non, non mais juste, à ton avis ?
- Non.
- ...
- Si ?
- Sinon je serais anorexique et...
Je me suis arrêtée, il me regardait l'air de dire, tu es un peu anorexique, ça m'a vexée, je suis vexable (j'aime bien inventer des mots, en plus ce mot est un peu différent de susceptible, il y a une nuance, vexable c'est la capacité à pouvoir être vexé alors que susceptible c'est être vexé pour un rien). J'ai scruté mes pieds, ils étaient minuscules, un peu perdus dans mes converses trop grandes.
Axel n'a pas cherché à troubler ce silence, j'ai levé la tête vers le ciel, nous étions encore en été et déjà les nuages nous envahissaient. Nous sommes allés vers la Seine puis vers la Tour Eiffel, je ne pouvais détacher mes yeux de la beauté du paysage qui s'offrait à nous. J'ai souri.
"C'est beau hein ?"
- Ouais, y a pas à dire, c'est beau.
J'ai sorti ma caméra et j'ai filmé, juste comme ça, sans but précis, comme d'habitude. Axel s'est arrêté près d'immeubles et d'un grand escalier semblant mener vers nul part. Il est descendu du vélib et moi aussi.
"On va ou ? j'ai demandé."
- Somewhere.
"Only we know" n'ai-je pu m'empêcher de penser.
Nous avons gravis les escaliers, il allait nettement plus vite quoi, sans doute par habitude. Ou sans doute parce que lui avait de la force, Lui. À ma décharge, ces escaliers étaient raides et très longs. Ils ont finis par nous mener à une petite porte qu'Axel avait déjà passée, je l'ai suivit. La porte débouchait sur d'autres escaliers, moins raides cette fois-ci. À la fin de ceux-ci, j'ai poussé une autre petite porte et de plein fouet je me suis pris un vent puissant. J'étais sur les toits de Paris ! Axel était déjà là.
Émerveillée par toute la ville qui s'offrait à moi, j'ai sortie ma caméra.
"Alors ?" m'a demandé Axel"
- Wouah.
- Ouais. Wouah, comme tu dis.
- Tu viens souvent ici ?
- Aussi souvent que je le peux.
Je n'ai pas cherché à savoir si que nous faisions été légal ou non, j'imagine que non. J'avais toujours rêvé de me balader sur les toits, à des dizaines de mètres au-dessus du sol et ma vie entre mes mains. Je ne suis pas dépressive, juste lassée par mon quotidien.
Axel et moi nous sommes assis sur un rebord de toit, les pieds pendants dans le vide, ma caméra sur l'épaule.
J'ai sorti mon portable, un Nokia, Axel a sorti son portable, un iPhone... J'avais un message... De ma mère. Qui d'autre ?
"Tu comptes rentrer quand ? J'espère que tu as tes clés je suis sortie, j'ai un dîner, je rentre pour minuit."
J'ai levé les yeux au ciel. Déjà j'allais mangé quoi, moi, piètre cuisinière, ensuite j'allais m'ennuyer comme un rat mort vu que nous n'avions plus de télé depuis... Bas depuis cinq ans en fait, juste mon ordinateur avec une connexion moyennement rapide, bref, j'allais encore manger des céréales...
"Ça va ? m'a demandé Axel."
- Oui oui, je me demandais juste ce que j'allais manger ce soir !
Il m'a regardé étonné.
"Parce que tu manges maintenant ?"
- Haha, très drôle !
- Bas tu mangeras ce que tes parents auront préparé, non ?
- Ma mère n'est pas là ce soir.
- Et ton père ?
Silence.
Il s'est frotté la tête, embarrassé, il venait un peu de mettre les pieds dans le plat.
"Bas fais des pâtes !"
- ...
- Tu sais faire des pâtes non ?
- ...
- Ok, t'es grave, achètes toi une pizza sinon.
- Sans argent ?
- Demande à ta mère.
- Mais elle est pas là.
- Et t'as pas du tout d'argent ?
- Non, j'ai pas d'argent de poche.
Il a écarquillé grand les yeux. Et bien quoi, il est où le problème ? Le seul argent que je possède c'est la famille qui jamais ne se bouge pour venir me voir mais qui culpabilise donc, m'envoie assez souvent des enveloppes avec des billets. Mais avec mon budget réalisatrice, musique, films et cinéma without ma mère, je me retrouve très vite à sec.
"C'est quoi le problème ?"
Je crois que j'ai répondu un peu agressivement, je ne dois pas lui paraître des masses gentilles même si j'ai l'air d'une petite chose fragile.
- Eh calme, j'ai rien dit.
J'ai haussé les épaules. Il commençait à pleuvoir.
Je me suis levée et je suis sortie. J'adorais cette odeur de trottoir humide, d'herbe encore mouillée. J'ai marché, j'ai trainé des pieds, toujours les yeux rivées sur mes pas. J'ai sorti mes écouteurs et j'ai lancé la musique, Somewhere Only We Know de Lily Allen, même si elle est à l'origine de Keane.
"Luna !"
C'était la voix de Axel, j'ai relevé la tête, redressé mes lunettes.
"Quoi ?"
- Excuse moi mais tu me plantes, comme ça ?
Je n'ai pas répondu. Avais-je été impolie ?
"Je ne te comprends vraiment pas !"
- Moi non plus.
- Quoi ?
- Je ne me comprends pas.
- Oh...
Il soupiré.
"On y va ?"
- Où ?
- J'ai envie de rentrer.
Il m'a regardé étonné puis il m'a demandé :
"Tu sais faire du skate ?"
- Non, quand je cours je tombe, manque d'équilibre alors imagine moi sur une planche !
- Ça peut être drôle.
Je l'ai foudroyé du regard.
"On se détend, c'est de l'humour !"
- Pratique pas.
- J'ai vu ça... Et quand est-ce que tu ris ?
- Rarement, peut être devant un film comique.
Il avait l'air surpris mais comment lui expliquer que pour rire il fallait de amis ?
- Et avec des gens ?
- Pourquoi ?
- Pourquoi quoi ?
- Pourquoi avec des gens, les films sont bien plus drôles, plus intéressants, il y a une intrigue...
J'étais en train de raconter n'importe quoi mais je préférais ça plutôt que d'avouer que personne ne voulait de moi.
- En gros les gens, ça te fais chiez ?
- Sans doute.
- Donc tu es hautaine, tu penses être supérieure !
- Je suis un gens.
Il n'a pas pu s'empêcher de rire.
- Un gens ? Toi savoir parler la France ?
- Ce que je veux dire c'est que je ne pense pas être supérieure vu que je me place dans la catégorie gens.
- Donc tu t'auto ennuie ?
- Je ne me trouve pas intéressante, sauf quand j'écris ou quand je filme.
Pourquoi je lui racontais tout ça moi ?
- Tu écrits et tu filmes alors ?
Je n'aurais jamais du lui dire ça mais je n'avais pas d'autre choix que de lui répondre :
"Ouais."
- Et tu veux faire quoi plus tard ?
- Ces deux métiers là, mais avant actrice.
- Pourquoi ?
Et pourquoi pas idiot ?? Ok, il faut vraiment que je me calme, j'ai plutôt opté pour le développement afin qu'il comprenne comment les choses s'organisaient dans ma tête.
- Pour faire un film, il faut se mettre dans la peau des acteurs, si je ne comprends pas les acteurs, mon film est irréalisable, tu saisis ?
- Oui j'imagine que c'est une façon de penser donc être devant la caméra t'intéresse, tu caches bien ton jeux, toi qui t'effaces...
- Qui suis si transparente, oui je sais merci !
- Arrête de jouer les susceptibles, tu sais ce que tu es, non ? Tu t'effaces parce que tu le veux !
Cette conversation n'avait aucun intérêt, je ne désirais qu'une chose, partir mais je me suis retenue, je passais déjà poid une recluse, pas la peine d'affermir cette réputation. J'ai répliqué :
"Déjà être devant la caméra, ce n'est pas vouloir se mettre en avant, j'aime jouer d'autres personnes que moi, sortir de mon corps de temps en temps, j'ai fait du théâtre.
- Donc tu es mal dans ta peau ?
- Bon, qui t'as demandé de jouer au psy ? Essayes pas de plaquer ta psycho à deux balles sur moi, ça marche pas.
- Arrête de m'agresser !
Je n'ai rien répondu, nous avons repris le tramway - abandonnant le vélib au son triste sort - sans aucun titre de transports et pas l'ombre d'un contrôleur. Je m'assois près de la vitre et comme d'habitude, je suis absorbée par la route qui défile, c'est comme ça, dans n'importe quel transport, mes yeux ne peuvent se détacher des vitres.
Axel n'a pas cherché à entretenir une quelconque conversation, je me suis sentie soudainement très nulle, en fait je n'avais pas vraiment été très sympa.
"Je suis désolée, me sentis-je obligée de dire."
- De ?
- D'être désagréable.
- Ok.
- C'est tout ?
- À peu près.
J'ai soupiré, il ne me facilitait vraiment pas la tâche !
"Bon, tu m'en veux ?"
- À toi de me le dire.
- ...
- Enfin, un coup t'es sympa et puis d'un coup tu t'assombries, c'est étrange quand même.
- Je dois être bipolaire, lançais-je pour détendre l'atmosphère.
- Tu te mets à l'humour maintenant ?
Cela m'a tout de suite refroidie.
- Oh putain, t'es chiante !
- Pardon ?
- Tu as vu comme tu es susceptible, on peut rien te dire !!!
- ...
- Bon aller, à demain.
Nous sommes descendus du tramway. Je ne savais même pas pourquoi il avait dit "à demain" puisque la rentrée n'était pas pour tout de suite. Je l'ai tout de même retenu.
"Attends !"
- Attendre quoi ?
- Je désolée, encore une fois, je suis un peu trop solitaire mais je peux changer !
- Question de volonté...
- Toi aussi t'es vexable.
- Vexable ?
- Bas j'aime pas dire que l'on est susceptible, ça enferme les gens dans un mot, c'est pas mon truc, vexable, c'est qu'il est possible de... Susceptible, c'est que tu es...
- J'imagine que c'est une façon de voir les choses, excuses acceptées.
Et nous avons continué de marcher.
Ce fut assez sympa, j'ai même ri !! J'avais finit par rentrer chez moi, vers vingt heures. Et bien sûr chez moi, il n'y avait personne et rien à manger, je suis allée me coucher directement avec cette terrible envie de disparaitre. Un peu glauque pas vrai ?

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