Lettre 5

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"Je me lance, je suis lesbienne. Je suis folle amoureuse d'une fille, depuis que je l'ai rencontrée, que l'on s'est rencontrée en fait, je me suis éprise de n'importe quelle chanson d'amour débile, passée et ringarde. Genre, je suis devenue addicte à Dreams de Richard Sanderson, j'ai revu des milliers de films romantiques alors qu'avant je trouvais ces films complètement débiles, le romantisme m'ennuyait immédiatement tandis que là, je suis heureuse, comme sur un petit nuage, j'ai l'impression de voler. Tout ce que je te dis ça fait vachement cliché je sais mais c'est cent pour cent véridique !"
J'ai affiché un sourire radieux.
"C'est trop mimi !!
- Ça te gêne pas ?
- Que tu sois lesbienne ? Alors là pas du tout, sincèrement je trouve ça génial si tu es amoureuse, peu importe que ce soit d'un garçon ou d'une fille, le plus important c'est que toi tu te sentes bien avec cette personne.
- C'est trop gentil, j'avais peur que cela change notre amitié, c'est drôle parce qu'on ne se connaît pas trop enfin disons nous ne sommes amies que depuis peu mais j'ai l'impression de toujours t'avoir connue, t'es vraiment une super amie pour moi, je sais pas si c'est réciproque ?
- Réciproque à cent pour cent. Ça ne modifiera pas notre amitié, je crois en l'amitié fille-garçon hétéros donc on peut tout à fait être amies.
- Super merci beaucoup !"
Elle a bu d'une traite qui restait du diabolo dans son verre et elle a souri. C'est vrai, elle rayonnait, elle était véritablement heureuse.
"Et Paul ? me rappelais-je, tu sors quand même avec lui nan ?
- Ouais je sais mais j'ai pas le cran de lui dire, encore toi, j'ai confiance mais je me sens pas prête pour mon "coming-out", surtout que les mecs sont encore plus borné que les filles sur l'homosexualité. En fait je crois qu'ils l'acceptent encore moins chez ceux du même sexe qu'eux !
- Possible, c'est vrai qu'il y a encore pas mal d'homophobie en France et bien trop de blagues homophobes !
- Oui c'est clair donc j'essaie depuis quelques jours de trouver une excuse pour le larguer, y'a vraiment aucun amour entre nous deux.
- C'est indiscret de te demander qui est l'heureuse élue ?
- Non non, pas du tout, elle s'appelle Maude, elle est brune, super chou, des cheveux un peu ondulés, longs, des yeux verts, elle est pas vraiment masculine comme certaines lesbiennes, non, on est pas différentes, juste amoureuses."
J'ai souri à nouveau, j'étais vraiment heureuse pour Mona. D'ailleurs les garçons allaient être super déçus car Mona était une vraie bombe, il leur était maintenant impossible de sortir avec elle.
"Je dois avouer qu'au départ ça m'effrayais d'être... Différente. On a beau dire, ça se sent qu'être homo, ça passe pas génial, ça reste toujours bloqué dans la gorge des gens, ils disent qu'ils n'ont rien contre puis c'est toute une amitié qui s'effondre alors qu'au fond, c'est toujours moi pas vrai ?
- Ouais c'est nul.
- Alors pourquoi les gens changent-ils brusquement d'attitude, c'est quand même dingue !
- Et dégueulasse, les gens s'éloignent de l'inconnu par principe, on vit dans une putain de société qui n'aime pas la différence. C'est vrai, il y a des tas de gens qui sont antisémites, homophobes, racistes... Pas tous évidemment mais certains même le sont sans s'en apercevoir. Il y a trop de mépris pour la différence, comme s'ils en avaient peur.
- Toi, je t'adore !"
J'ai souri, oui je ne fais que ça mais ça me fait plaisir que Mona me fasse à tel point confiance. Elle m'a ensuite avoué qu'elle ne l'avait encore dit à personne sauf à moi, cela me confirmait qu'elle avait une confiance totale envers moi, cela me touchait vraiment et me montrait également que j'étais en train de changer. Je passais progressivement de la fille renfermée à la fille ouverte, cela ne me déplaisait pas, après tout, ce deuil, il était en parti à cause de mon père alors c'est comme si je le laissais me détruire sauf que c'est lui qui doit culpabiliser, se morfondre, être triste, pas moi. Marre d'être en deuil.
C'est alors que, comme Mona, j'ai eu moi aussi envie de me livrer à elle et de dire tout haut ce que jamais je n'avais osé faire auparavant, hormis devant ma mère. J'ai prit une inspiration.
"Voilà, commençais-je, il y a exactement cinq ans et trois mois, mon père est parti avec le canapé, la télé et... Et avec mon frère, mon demi-frère, le fils du premier mariage de mon père tandis que moi et ma mère étions parties en week-end rien que toutes les deux..."
Elle a serré fort ma main, cela transpirait la compassion, au sens figuré, heureusement pour moi que Mona n'avait pas les mains moites mais je me disperse !
Nous nous sommes rendues au parc et j'ai poursuivi mon récit.
"N'ayant aucun droit sur Antonin, mon frère, ma mère n'a rien pu obtenir d'un juge et surtout, l'argent manquait cruellement pour attaquer mon père en justice et surtout, pour le retrouver. J'ai fait un deuil, le noir, mes apparences renfermées, mon absence de sociabilité, qui s'estompe peu à peu en ce moment, tout ça fait parti de mon deuil. J'ai tenu cinq ans mais il faut dire que plusieurs éléments ont renforcés ce deuil. Déjà, ma mère me néglige totalement."
Je lui racontais quelques anecdotes comme le fait que ma mère ne se préoccupe jamais de me faire manger, d'où ma maigreur en tant que piètre cuisinière.
"Ensuite il y a eu la quatrième au collège de mon secteur, à Villejuif, là où j'ai habité après l'appart' vue sur la Tour Eiffel et avant Montreuil. Ce collège était loin d'être le meilleur mais j'étais bonne élève, la meilleure de la classe. Sauf qu'il y a eu ce proviseur..."
Ma voix a tremblée, je tremblais.
"Est-ce que ça va ? me demanda t-elle inquiète.
- Oui je crois... - je pris une profonde inspiration - ce proviseur avait un comportement déplacé avec pas mal de filles qu'il convoquait à des horaires un peu délirants parfois avec des motifs étranges, à son bureau. Parmi ces filles, il y avait moi. Il ne s'est jamais rien passé, la plupart du temps, nous n'allions pas à son bureau ou nous demandions à un surveillant de nous accompagner et puis il s'est lassé. Sauf que quelques mois plus tard, j'ai été convoquée, un vendredi après-midi et il m'a gardée toute l'après-midi.
- Oh Luna, je suis désolée !
- T'excuses pas, il ne s'est rien passé, il ne m'a pas touchée ni quoi que ce soit d'autres mais il m'a parlée, beaucoup. Il tenait des propos plus que déplacés et puis une prof a fait pression pour qu'il me laisse sortir, cela a duré des heures, tout me semblait si absurde et j'avais si peur ! Au final je suis ressortie et j'ai eu du mal à me livrer à ma mère qui m'avais un peu mise entre parenthèses. J'étais persuadée qu'elle ne me croirait pas mais je me suis trompée, cette dernière a immédiatement porté plainte, le proviseur est vite parti en retraite, c'était un ami de la police, l'affaire a été étouffée, personne ne m'a soutenue, pas même la prof qui m'avait faite sortir de son bureau. Au collège, aucunes de mes amies, à vrai dire je n'en avais pas beaucoup, disons aucun élève de ma classe ne me croyais. J'étais à leurs yeux une menteuse, leur parents eux aussi disaient que je mentais. Ma mère a de nouveau porté plainte mais rien, alors on nous a proposé en échange n'importe quel autre collège avec la garantie d'y rester au lycée si l'établissement en avait la capacité. Ma mère n'a pas voulu choisir trop élitiste ni viser trop haut niveau Bourges, elle a tout de même choisi Claude Monet et voilà comment j'ai atterri ici. C'est pour ça que je galère à justifier mon arrivée en cours d'année à Claude Monet, d'ailleurs la différence de niveau entre Villejuif et ce collège est frappante, je suis passée de la meilleure de classe à pratiquement chacune de mes notes en dessous de la moyenne !
- Putain la vache ! De prime à bord on dirait pas mais sincèrement t'as une vie vachement dure et je t'admire, t'es super courageuse. Après tout ce que t'as enduré.
- C'est gentil, voilà maintenant je chiale, c'est malin !"
J'ai essuyé mes yeux et puis mon téléphone a sonné, ma mère.
"Allo ?
- Oui Luna, je peux savoir où tu es ? Tu te rends compte que je suis super inquiète, le collège m'appelle pour me dire que tu viens de manquer deux heures ! Je ne sais même pas où tu es, j'ai autre chose à faire que de te chercher aux quatre coins du monde moi !"
Deux heures, on venait de manquer deux heures ! Je n'avais vraiment pas vu le temps passer.
"Eho Luna, tu m'écoutes ? Ça va mal aller pour toi jeune fille, tu penses que tu vas t'en sortir comme ça, sécher les cours c'est grave, faut que tu reprennes, ça va plus...
- Stop ! hurlais-je.
- Non mais oh, ça va pas, tu vas me parler sur un autre...
- Non, comment tu peux oser dire de telles choses alors que ne te préoccupes même pas de moi ! Je ne te suis même plus, c'est quoi le délire, tu prends plaisir à m'engueuler donc les seules fois où tu m'adresses la parole c'est pour ça ! Qu'est-ce que ça peut te faire de savoir où je suis, quand tu rentres le soir tu je vérifies même pas si je suis là, si j'ai mangé, si je vais bien ou mal. Tu t'en fou royalement alors ne vient pas jouer les mères responsables qui s'impliquent dans l'éducation de leur fille, pas à moi."
Et j'ai raccroché avant de m'effondrer en larmes. C'est trop glauque et je déteste pleurer.
Mona m'a raccompagnée chez moi, Fabrice n'était pas là, il devait être en réunion. Je suis montée jusqu'à la chambre de Steve, toujours accompagnée de Mona qui ne m'avait pas lâché la main depuis que je pleurais. Elle avait ainsi établi une connexion forte qui m'aidait à garder le contrôle sur moi même.
J'ai fouillé et j'ai trouvé la drogue que planquais mon beau frère. Je l'ai prise, j'ai trouvé également tout le fric qu'il se faisait grâce à ça. Je n'y ai pas touché, cette argent me semblait sale, s'enrichir sur le dos de pauvre gens, s'enrichir en tuant à petit feu, en détruisant des vies, très peu pour moi !
Steve est rentré et j'ai cru qu'il allait littéralement nous exploser la crâne contre le sol, à moi et à Mona lorsqu'il nous a vu avec sa cocaïne. Mona est rentrée chez elle.
"Steve, faut qu'on parle.
- J'ai rien à te dire pétasse, rends-moi ma coke, je te le demande gentiment mais ça peut très vite mal finir.
- Écoute, on a jamais essayé de se connaître ni de s'entendre, je voudrais juste que...
- Quoi ? Qu'on soit comme des frères et sœurs qui s'entendent à merveille ? Que j'arrête de dealer ? Qu'on vive dans le monde des bisounours ?"
J'ai secoué lacement la tête, c'était peine perdue.
"Réveilles-toi Luna, on est dans le monde réel alors t'as peut être la chance de ne pas avoir de problème dans ta vie mais tu vois je vis des trucs assez difficile alors juste, laisse moi gérer ! Sincèrement, tu crois que ça me plait de dealer ? Non. J'ai besoin d'argent, beaucoup d'argent, comme ça dès que je peux j'me tire d'ici et je revois plus vos faces de rats à tous !"
J'ai soupiré et me suis effondrée en larmes. Moi, la chance de ne pas avoir de problème dans ma vie ? Il m'avait bien regardée ?
J'ai laissé les sachets entiers de cocaïne s'échouer au sol et ils les a récupérés sans même chercher à faire quelque chose pour moi dont les larmes ne cessaient d'affluer. Mes yeux s'étaient changés en robinets ouverts, je ne pouvais plus m'arrêter, un flot d'eau salée s'écoulait de mes yeux laissant sur son passage d'horribles traînées noires, vestiges du maquillage de ce matin.
Je m'en veux tellement de pleurer pour un rien, j'ai l'air ridicule surtout que jamais Steve ne m'accordera la moindre compassion. Il sait que je suis faible et il va en profiter, j'en suis sûre.
"Tu peux sortir de ma chambre maintenant ? demanda-t-il excédé."
Je ne me suis pas faite prier et je suis allée m'enfermer dans la salle de bain. Ne pas me laisser abattre. J'avais le cœur serré, certes, j'étais submergée par la tristesse, oui, mais la vie continuait et ce n'était ni mon père ni ma mère qui allaient me la gâcher. Encore moins mon imbécile de beau-frère.
J'ai pris une douche froide avec la musique à fond, je n'ai chanté que des chansons joyeuses. Je me suis rhabillée, j'ai refait mon maquillage, j'ai enlevé mon vernis noir, j'ai pris mon sac en bandoulière aztèque car il ne me restait plus que quelques cours de l'après midi, trois heures en tout. J'ai mangé deux carré de chocolat noir à la fleure de sel, c'est bon pour le moral et je suis sortie avec mes rollers.
Mona m'a appelée, quelques minutes plus tard je la rejoignais dans le métro, direction collège.
Quelques minutes après l'avoir retrouvée, Mona reçut un message de Ian lui demandant où nous étions passées.
Longue histoire avons nous toutes les deux pensé. Mona n'a pas répondu, ça attendra, je n'avais pas envi de leur raconter ce que j'avais de livrer à Mona et visse versa alors comment expliquer toute cette agitation ? Il va falloir inventer une excuse à peu près potable.
Arrivées au collège nous avons tenté quelques excuses plus minables les unes que les autres auprès de la CPE, sans succès. Nous étions collés samedi matin, durant quatre heures, cela correspondait au nombre d'heure que nous avions raté et d'après ce monstre, nous avions de la chance puisqu'en général, les élèves qui séchaient les cours devaient effectuer le double de ce qu'ils avaient manqué !
Mona et moi avons rejoint Ian, Axel et Paul qu'elle fut forcée d'embrasser même si le cœur n'y était pas.
" Alors les filles, on se rebelle ? lança Ian."
Très drôle, pensais-je très fort.
"Vous êtes allées où au juste ? demanda Paul.
- Longue histoire, répondit immédiatement Mona.
- On a tout notre temps, déclara Ian juste pour nous faire chiez.
- Personnelle aussi, précisais-je.
- Alors vous les filles, soupira Axel.
- Quoi, nous les filles ? m'offusquais-je. On a le droit à un semblant de vie privée non ?
- Yo calme !"
Nous sommes montés en cours, nous avions histoire-géo et j'étais à coté de Ian. Celui-ci n'a pas arrêté de me harceler pour savoir où moi et Mona étions passée.
"Qu'est-ce que ça peut te faire ? demandais-je.
- Mais c'est confidentiel à ce point ?
- Bas oui.
- Bas non.
- Laisse nous en juger non ?
- Non."
J'ai soupiré et il a laissé tomber, il a cherché à savoir qui j'aimais dans cette classe, ridicule.
"Avoue tu kiffes Barnabé !
- Ce thon ! Tu veux rires ?
- Aller, avoues, je t'ai vu hier quand il t'as fait sa déclaration...
- Ok stop, ta gueule ça me dégoûte et tu racontes que de la merde !
- Bon alors tu kiffes... Elliot ? Aller, Elliot avoues que tu le trouves beau !
- T'es fou il est trop con !"
Elliot est juste magnifique(ment con), les deux. Donc pour moi beau + con = intouchable.
"Haha, tu dis pas qu'il est moche !
- Tu sais quoi, ferme la et laisse moi écouter le cours si... Passionnant."
Il a pouffé, de toute évidence, le cours auquel nous assistions était tout sauf passionnant.

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