25 ans après

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Elle avait été son grand amour de jeunesse et son grand chagrin d'amour aussi. Ils s'étaient rencontrés étudiants, dans la même école, venant d'un même milieu d'enseignants et tous deux Parisiens, ou plutôt banlieusards. D'ailleurs leurs mères se connaissaient, sans s'apprécier. Ils étaient vite tombés amoureux, elle 23 ans mais encore vierge (on était ainsi dans les années soixante), lui 21 ans, ne comptant que quelques expériences peu marquantes. Elle était aussi sûre d'elle, de sa beauté, de son intelligence et de son milieu social, que lui était timide et complexé. Leurs caractères différaient extraordinairement. Il avait un courage physique certain, une grande adresse dans les nombreux sports qu'il pratiquait, comme le ski ou la voile, avec un défaut d'assurance total en société. Son seul point faible à elle, était cette virginité tardive, qui commençait à la faire douter de sa normalité. Elle avait reculé sa première relation sexuelle avec les garçons ou hommes qu'elle avait rencontrés, par prudence, par pruderie, mais était maintenant bien décidée à s'en débarrasser. Il était donc arrivé au bon moment.

Leurs premières sorties furent baignées dans un halo de bonheur et de complicité totale, ils parlaient la même langue, ils aimaient les mêmes choses, ils allaient d'expositions en films, de livres en pièces de théâtre. Ils prenaient leurs camarades de promo, la plupart provinciaux et d'un milieu plus modeste, pour des rustauds, des rustres, presque pour des ploucs, en tout cas des gens moins cultivés, moins brillants.

Un soir au retour d'un vernissage, il lui prit enfin la main, comme cela, dans le parking. Elle résista un peu et devant son interrogation, elle dit simplement que l'endroit n'était guère choisi. Il insista cependant et elle se laissa aller à un premier et délicieux baiser. Ce fut le début d'une relation amoureuse qui dura une année universitaire. Au début ils se retrouvaient le soir dans la voiture (les chambres des filles étant avant Mai 68 inaccessibles aux garçons et inversement), passant des heures à un flirt poussé les menant jusqu'à l'orgasme. Il la caressait sous son slip jusqu'à ce qu'elle perde la tête et aille le chercher, c'est-à-dire aille extraire son sexe et le masturber. Il se souvint plus tard avec délice de ses séances agitées, et notamment d'une fois où son sperme sorti à la vitesse d'une fusée était allé inonder le rétroviseur et le plafond de sa Fiat d'occasion, la faisant rire devant ce qu'elle appela de façon fort banale, mais qui le marqua curieusement des années après, "un jet puissant". La deuxième étape fut le passage aux choses sérieuses, quand elle emprunta le studio d'une copine à Paris et l'y fit venir. Elle s'était d'abord inquiétée de savoir son avis, s'il voulait vraiment faire l'amour avec elle ; naturellement il ne demandait pas mieux, mais elle semblait avoir peur de son refus, et montra un soulagement évident quand il accepta, alors qu'il marquait lui-même une légère hésitation, étant peu rassuré quant à ses capacités à la satisfaire. Ils firent l'amour de façon plate, à la missionnaire, sans que cela le marque, puisqu'il ne garda qu'un souvenir vague de cette expérience. Pour elle au contraire, ce fut une libération ; elle y accorda beaucoup plus d'importance que lui, se sentant naturellement, et enfin, femme. Elle lui dit souvent que son attachement pour lui venait surtout de ce qu'il était le premier, ce qui après tout n'était guère flatteur. Il se souvint beaucoup mieux de la troisième étape, celle où leurs relations sexuelles atteignirent un rythme de croisière, celle où ils devenaient peu à peu plus expérimentés. Cela se passait maintenant à l'hôtel, à Paris, où ils allaient pour quelques heures ou pour la nuit. Ils étaient vite devenus des spécialistes des divers hôtels de la rive gauche, connaissant tous les prix, et ayant leurs chambres préférées... Il appréciait particulièrement l'Oriental à Denfert-Rochereau et ne put plus par la suite, pendant toute sa vie, jamais passer devant sans un pincement de cœur. Ils passaient des nuits à se regarder, se caresser, s'aimer, découvrant leurs corps et les orgasmes à répétition. Au petit matin, ils partaient ivres de plaisir, la tête dans les nuages, érotisés pour toute la journée, baignant dans une véritable "odeur" de sexe. Ils prirent des week-ends dans la Normandie proche et Honfleur accueillit ainsi leurs amours encore débutantes. Lorsque l'été arriva, ils durent se séparer, allant chacun en stage, elle au Mexique, lui à Sarajevo. Elle partait un mois après lui et il débarqua tout seul un beau jour avec sa vieille Fiat dans la cité bosniaque, après plusieurs pannes entre Paris et la Yougoslavie. Les premiers jours du stage furent catastrophiques, ignorant tout du serbo-croate, complètement déplacé, personne ne s'occupant de lui, il n'eut pour compagnon qu'un autre étudiant, un Turc qui parlait mal l'anglais. Au bout d'une semaine il décida de tout plaquer, abandonnant son stage sans prévenir et filant vers Paris et son amie, emmenant avec lui le Turc réticent. En trois jours ils étaient de retour, faisant en une seule étape les 1400 km entre Venise et Paris. À cette époque, l'autoroute menant à Paris ne commençait qu'à Auxerre. Il largua le Turc à l'auberge de jeunesse de Saint Ouen et fila retrouver son amie.

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