Meurtris

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V) Pollux et Hélène

Jardins dévastés. Fleurs fanées. Terres émiettés.

C'était tout ce qu'il restait de cet endroit si apaisant qu'avait connu Hélène. Elle se souvenait de jours ensoleillés, de promenades, de rires. Elle avait connu ces après-midi insouciants avec ses frères et sœurs, avec le concierge et Dieu. Elle souriait.

C'état un temps révolu. C'était avant leur séparation à tous, avant les punitions, avant les briques rouges, avant tout. C'était le début, le commencement de tous, la naissance des jours heureux.

Elle était revenue ici, non par nostalgie, elle s'interdisait de penser au passé, seul l'avenir comptait, elle avait reçu un mot de son jumeau. Elle ne l'avait plus vu depuis les jardins, depuis qu'elle avait choisi d'obéir. Hélène espérait que lui serait au moins plus vivant que ces jardins.

Dotée d'une vue surpuissante, elle énuméra les débris d'acier des gloriettes victoriennes, les branches suspendus par un fil à leur tronc, les trous béants du sol. La guerre avait bien fait son travail.

Les troupes étaient arrivés il y a quelques jours, suivies des armes, des explosions et des alertes. Dieu les avait d'ailleurs enfermés dans leur chambre, leur interdisant formellement de sortir jusque ce que la paix advienne au-dehors.

Toutefois, pouvait-on réellement tout ignorer ? Hélène avait toujours fait semblant que tout allait bien. Elle s'était aussi dit que ces hommes étaient simplement venus par pulsions, parce qu'ils avaient eu le choix de détruire. Elle n'avait pas encore compris pourquoi elle devait ignorer les morts, les bruits sourds.

Ses oreilles avaient discerné le moindre cri depuis l'autre bout de ces jardins. Elle mentirait si elle disait qu'elle avait eu envie de désobéir en entendant les prières d'une mère sous les flammes. Enfoncer sa tête sous son oreille n'avait pas fait que la rendre encore plus malade de tous les cris.

Elle ne l'avait pas dit à Dieu, parce qu'Hélène ne disait jamais rien. Elle ne se confiait à personne. Elle ne sentait pas plus proche de ses frères et sœurs que des enfants aux pieds noirs qui gisaient à présent. Seul son jumeau, Pollux, lui manquait.

Alors lorsqu'il lui avait donné rendez-vous au jardin, elle n'avait pas hésité un seul instant. Hélène s'était habillé dans cette tenue de civile qu'elle haïssait, et camouflée le visage de son foulard de soie.

Elle était aussi laide que la guerre. Difforme. Effrayante. Boiteuse. Elle le savait. Elle avait pris l'habitude de se cacher, de passer outre les remarques des femmes et des filles qui la pointaient du doigt. Elle haïssait son reflet, elle ne l'avait plus vu d'ailleurs depuis des semaines. Elle ne saurait même pas si elle aurait le courage de se regarder en face tout comme le faisait les hommes devant les poumons essoufflés de leur terre par leur bêtises.

Elle ferma les yeux. Elle écouta la pulsion de son coeur au creux de ses oreilles, les bruissements des feuilles et des pétales au creux du vent, le craquement des branches. Elle huma la cendre à ses pieds, la rosée au-dessus de sa tête. Elle frôla les contours des vides, se demandant s'il existait un autre monde sous cette terre carbonisées.

Une main toucha son épaule. Hélène reconnut le visage angélique de son frère, ce regard flamboyant qui apaisait ses craintes, ce sourire tendre qui l'enveloppait de bonheur. Elle réprima le rictus qui se dessinait sur ses lèvres gercées.

Son soupir créa un mince filet de fumée dans la brume.

- Tu sais très bien qu'on n'a pas le droit de se parler. Qui sait ce que Dieu dira en voyant nos lits froids ?

۰۪۫L۪۫۰۰۪۫a۪۫۰۰۪۫c۪۫۰۰۪۫u۪۫۰۰۪۫n۪۫۰۰۪۫e۪۫۰۰۪۫s۪۫۰Où les histoires vivent. Découvrez maintenant