Extraits LGDC

Un Étang Prismatique - Chapitre 1

Pdv Clan de l'Ombre

      Demi-Jour observait son reflet déformé dans l'étang. L'eau ondulait à chaque fois qu'une goutte de pluie tombait de la branche de l'arbre qui l'ombrageait. Il frôla la surface du lac du bout de la patte et la retira précipitamment, elle était gelée. Il recula et finit par quitter le marais des yeux. Il les dirigea vers deux jeunes félins. Il s'agissait de Piqué de Corbeau et d'Ombre des Glaces, un couple qui s'était formé il y a peu. Leurs queues enlacées, ils s'échangeaient des messes basses. Le lieutenant en détourna le regard, et, sans le vouloir, une petite larme coula sur sa joue.

   Ombre des Glaces a beau être ma sœur, depuis que je me suis embrouillé avec Piqué de Corbeau, elle m'ignore et ne me parle plus... Ça remonte à si longtemps... Dire que nous avions cinq lunes, se remémora t-il. Il soupira avec amertume. Elle n'est pas prête de me pardonner... Elle est si dure... Nouveau soupir. Il n'y a rien à espérer.

   Il leva la truffe, les rayons du soleil pointaient à l'horizon. C'était le crépuscule, il allait bientôt devoir rentrer. Après avoir suivi les entraînements des novices toute la journée pour vérifier qu'aucune violence n'avait lieu entre mentor et apprenti, il était épuisé. Le voilà qui partait en direction du camp des guerriers d'un pas las et lent. Une fois arrivé dans la clairière, où le silence régnait à cause de l'absence des juvéniles, il entra dans la tanière commune et se lova dans son nid, aux feuilles et aux plumes froides.
  Les ronflements d'un vétéran, Halo de Brume, l'empêchaient de dormir. Ce dernier dormait contre son fils, Œil Ténébreux. Demi-Jour, quant à lui, n'avait pas vraiment de famille. Entre sa sœur qui ne voulait même pas entendre parler de lui et une absence de parents et d'amis depuis qu'il avait ouvert les yeux, il avait l'habitude de la solitude.
   Il y a encore quelques lunes, il était un guerrier sans intérêt et méprisé, mais, Étoile Spirituelle, qui avait fini par remarquer ses talents de guerrier, l'avait nommé lieutenant. Ça ne lui avait pas plu plus que ça, car être le bras droit c'est aussi devoir parler aux autres, chose très compliquée pour lui.

 « Demi-Jour ! »

   L'intéressé se figea, il sentit ses entrailles se nouer comme par réflexe. Il n'aimait pas qu'on l'apostrophe, ça lui ressassait de mauvais souvenirs. Il mit un moment avant de se retourner. Halo de Brume attendit qu'il soit prêt à l'entendre, puis déclara :

 « J'avais oublié de te dire, mais Étoile Spirituelle veut que tu ailles dans le camp de la pouponnière.
 —  Pourquoi elle veut que je fasse ça ? demanda le guerrier tacheté en fouettant l'air avec sa queue et en plissant les yeux avec méfiance. Pourquoi en pleine nuit ? Et pourquoi ce n'est pas elle qui est venu me le dire ?
 —  Qu'en sais-je ? »

   Quel parano, songea le vieux matou en levant les yeux au ciel tandis que son camarade sortait du gîte.
   Demi-Jour bâilla à s'en décrocher la mâchoire : il n'en pouvait plus, et le camp de la pouponnière était si éloigné... Il prit son courage à quatre pattes et partit à l'endroit indiqué. Il arriva dans la petite plaine dégagée après plusieurs minutes et fronça le museau. Il se souvint à quel point il détestait ce lieu ; cette odeur lactée, ce calme paisible... Un traumatisme éternel. Et puis, il n'était pas réellement aimé des chatons non plus...

 « Oh non pas lui ! s'écria un chenapan du nom de Petit Frêne. Elles sont nulles ses histoires ! »

   En même temps j'ai rien de fou à raconter... pensa le lieutenant, exaspéré. Il se glissa dans l'antre et vit des regards le fixer du haut de leur petite taille. Il se tourna vers un mâle crème, Matin d'Or, qui le considérait avec plus de pitié qu'autre chose.

 « Tu n'as pas eu une vie géniale, toi, dis-moi, remarqua l'ancien après la réflexion du chaton.
 —  J'y peut rien, répondit-il froidement en haussant les épaules.
 —  La faute à qui ? C'est toi qui décide ce que tu fais de ton destin. Pas quelqu'un d'autre. Tu peux...
 —  Bon, écoute. Ce n'est pas mon cas. Je n'ai plus de contrôle. Sur rien. Pas même sur moi. Alors s'il te plaît, tais-toi, tais-toi, tais-toi ! »

   Matin d'Or coucha les oreilles en arrière et retint un feulement.

 « Calme-toi ! Si tu viens ici pour gueuler, c'est pas la peine ! » rétorqua le vieux chat.

   Le félin bicolore baissa la tête et la secoua avec désolation. Il tendit la patte vers son aîné comme pour le stopper et murmura d'une voix brisée :

 « Je venais juste sous l'ordre d'Étoile Spirituelle, elle m'a demandé de vérifier la pouponnière... »

   Une femelle brune pâle presque rosée se joignit aux deux mâles, il s'agissait de Bouton de Rose, qui avait rejoint les anciens il y a peu. Elle était calme et posée, comme à son habitude.

 « Mais... Étoile Spirituelle est passée il y a quelques minutes pour le faire... »

   Le sang de Demi-Jour ne fit qu'un tour. Il s'effondra au sol, non seulement par fatigue mais aussi parce qu'il était abattu. Une fois encore, on l'avait trompé.