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- "C'est ici que mon long voyage s'est terminé", constate Joseph Baruku, en contemplant l'écume des vagues de la Méditerranée qui s'échouent sur le long de la côte à Athènes.

Joseph a quitté son pays, l'Ouganda, pour échapper à la discrimination dont il était victime en tant qu'homosexuel. Il est passé par le Kenya puis l'Égypte avant d'arriver en Grèce. Il ne cherchait pourtant pas à atteindre l'Europe, dont il ne sait rien.

- "Je pensais que l'Europe était un seul pays", explique-t-il.

Mais au Kenya, Joseph a vécu le même sentiment anti-gay qu'en Ouganda, ce qui l'a conduit à partir en Égypte. De là, il dit avoir rencontré un groupe d'Érythréens avec lequel il a pris un bateau, a priori vers la Turquie, même s'il reste flou sur les détails de cette partie du voyage. Son chemin le mènera jusqu'à Athènes, où il s'occupe aujourd'hui de l'association "Athens Housing Collective", un projet d'aide aux migrants gays, né d'une collaboration avec l'ONG américaine Safe Place International.

Le Athens Housing Collective (AHC) a été crée en 2017 pour, à l'origine, aider les migrants à trouver un logement. Si décrocher un appartement à Athènes en tant que réfugié relève déjà de l'exploit, c'est encore plus compliqué en tant qu'homosexuel.

- "Être LGBTQ à Athènes est très difficile", assure Rachal de Safe Place International, qui discute généralement près d'une heure avec les candidats aux logements, pour s'assurer qu'ils peuvent vivre dans une colocation et qu'ils seront acceptés au sein de la communauté. Selon elle, "dans les camps, les gens ne révèlent pas leurs orientations sexuelles à cause de l'Homophobie et la transphobie qui y règnent."

- "Nous avons tous besoin d'un lieu en sécurité", dit Joseph. "Je ne vois pas beaucoup d'humanisme en Grèce. Les gens vous montrent du doigt, vous insultent, parce que vous êtes un réfugié et être LGBTQ ne fait qu'empirer les choses." Pour l'Ougandais, le AHC doit permettre de faire bouger les lignes.

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Avant d'arriver à Athènes, Joseph est passé par l'île de Lesbos, où il a été interpellé par la police pour être emmené au camp de réfugiés de Moria. Dans une vidéo de l'association, le camp est décrit comme un lieu "surpeuplé, où la consommation de drogue, la violence et les abus sexuels sont devenus une normalité".

- "Quand j'allais voir la psychologue à Moria, elle me demandait pourquoi j'avais quitté mon pays", se souvient Joseph.

- "Je suis gay", lui avait-il répondu. "Je voulais rester en vie".

Au début, le jeune homme a dû affronter la discrimination dans le camp. Il raconte comment d'autres habitants le pointaient du doit, comment certains se sont fait passer à tabac à cause de leur orientation sexuelle. Alors il a décidé que "c'en était assez".

Les choses se compliquent encore davantage pour les personnes transsexuelles "que l'on dévisage plus facilement dans la rue", assure Joseph.

- "Il y a des gens de votre propre communauté qui vous jugent." En Ouganda, l'homosexualité est considérée comme illégale. D'après Amnesty International, se faire surprendre pendant l'acte sexuel avec une personne de même sexe peut conduire à une peine de prison de sept ans.
Avant 2013, c'est même la peine de mort qui pouvait s'appliquer. Et quand ce n'est pas la justice, c'est la population qui exprime sa haine contre les homosexuels, en les bannissant de leurs villages voire de leur communauté. Beaucoup se font frapper, certains même tuer.

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Joseph a encore du mal à se remémorer les conditions dans lesquelles il a fui l'Ouganda. C'est son père qui l'avait présenté aux anciens du village en l'accusant d'être gay. Joseph avait 19 ans. Il avait beau nier son homosexualité, les anciens ne l'ont pas cru et l'ont envoyé en prison pour deux semaines. À la sortie, il a fini par faire son coming out devant sa mère. Celle-ci a ensuite tenté de l'emmener voir un médecin traditionnel, en pensant que l'homosexualité pouvait être due à des sorcières, avant de finalement accepter son fils comme il est.

Néanmoins, la communauté a continué à le juger.

- "Ils m'ont traité de diable", explique Joseph. Les anciens du village se sont alors réunis, en présence de son père. À partir de ce moment, le jeune homme n'a eu qu'une semaine pour quitter le village.

À cause de l'homosexualité de Joseph, sa mère et sa soeur deviennent victimes de discrimination.

- "Les locaux croyaient que ma mère et ma soeur étaient lesbiennes parce que ma mère a donné naissance à un homosexuel et que ma soeur est née de la même personne. Ils pensent que l'homosexualité se transmet, que si je m'assieds à côté de toi tu vas devenir gay à ton tour."

Les deux femmes perdront la vie dans un cambriolage, puis c'est Joseph qui se retrouvera menacé de mort, accusé par son père d'être la raison de ce drame. Ce sera le début du long voyage qui va conduire le jeune homme jusqu'à Athènes.

Mais même à Athènes, "beaucoup d'homosexuels et de transsexuels risquent leurs vies". D'après Joseph, qui s'est rapidement retrouvé marginalisé dans la capitale grecque, la communauté LGBTQ se retrouve généralement dans des squats et passe la nuit dans des conditions éprouvantes.

C'est ainsi que Joseph a commencé à vouloir aider les réfugiés gays "qui ont besoin de survivre" à trouver un abri. Il démarre alors avec une maison, et "avant même d'avoir tous les meubles, on avait six personnes à héberger", explique Joseph avec fierté.

L'une des premières locataires du AHC s'appelle Carmen. Elle est originaire de la RDC et a été victime de viols d'une extrême brutalité. Trouver un lieu sûr a été libérateur pour elle.

-"Joseph est un homme bien", dit-elle avec le sourire. Carmen raconte comment elle passait ses journées à dormir dans des parcs, pour pouvoir rester réveillée la nuit et marcher afin d'être une nouvelle fois attaquée.

Manasif, un autre locataire venu du Pakistan, explique que dans son pays, "il n'y a pas de place pour les LGBT". Mais arrivé en Grèce, Manasif a continué à ne pas se sentir à sa place.

Bien que Joseph ait toujours été en accord avec lui-même, à Athènes, il semble avoir fini par trouver un lieu où il se sent en sécurité.

-"Je suis fier d'être gay et d'être un Ougandais", dit il en riant. Joseph espère un jour ouvrir sa propre ONG pour soutenir la communauté LGTBQ, avec laquelle il a récemment célébré la Gay Pride à Athènes. Il espère aussi trouver l'amour et fonder une famille.

- "Être gay n'est pas quelque chose de mauvais, cela ne veut pas dire que tu es possédé par des démons".

Joseph apprend de nouvelles langues africaines pour pouvoir faire passer ce message aux autres migrants. Pour lui, il n'y a rien de pire que de perdre l'espoir.

- "J'ai vu tellement de personnes déprimées et qui ont totalement perdu espoir. Je m'assieds à côté d'eux et leur dis que la première chose dont ils ont besoin est de l'amour. Quand tu ressens amour, tu sauras apprécier le soutien des autres et tu diffuseras de l'amour à ton tour."

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