20 Décembre
Mon petit Papa,
Nous en avions déjà beaucoup parlé, au dernier semestre de terminale, j'aimerais beaucoup travailler dans le domaine culturel, artistique. Si je suis instinctivement portée vers l'art, c'est que j'ai toujours ressenti une sensibilité extrême pour l'esthétique, la beauté. Qu'est-ce que c'est que la beauté ?Je me souviens l'avoir abordé en cours de philo en terminal, il me semble que c'est Diderot qui en parlait... ou bien je ne sais pas.
Pour moi, la beauté, c'est une ambiance, c'est un ensemble, c'est insaisissable. Un peu comme toi maintenant, Papa.
La semaine dernière, Maman nous a reconduits avec Emma et Valentin sur les bords de la Loire. Il devait être six heures du matin, et je dois avouer que le paysage s'offrant à ma vue était sublime. Le ciel était rosé, et l'on voyait dans l'eau le magnifique reflet du château de Chambord. A une heure si matinale, il n'y avait personne. Chambord était juste pour nous, avec les bords de la Loire sur lesquels nous nous tenions. Je ne sais pas quel élément de ce charmant paysage a le plus retenu mon attention, mais je me sentais subjuguée par une force colossale. L'optimisme coulait dans mes veines pendant ce moment d'une extrême intensité. Tu dois te demander, mon cher Papa, ce qui pouvait me passer dans la tête. En réalité, j'avais de nombreuses pensées divergentes au même moment. Je ressentais en même temps l'expérience d'un mystère, le sens de ma présence dans ce monde, la volonté impuissante de rationaliser ce que je vivais. Je ne savais pas s'il fallait que je cherche un sens à ce que j'étais en train de vivre. De toute façon, je ne savais pas comment le faire. Papa, j'ai la certitude que dans la vie il faut savoir alterner entre le lâcher prise qui permet de saisir des opportunités et le fait de rationnaliser ce que nous faisons au quotidien. Je crois bien que même si on approche la vérité dans l'art, il faut privilégier le lâcher prise. Seul lui nous fait véritablement grandir.
Si la beauté me transporte, je ne sais pas vers où exactement. J'ignore si elle me porte en dehors du monde ou si elle m'y rend plus présent. Quand je contemplais il y a quelques jours le château de Chambord, j'avais la conviction d'être conduite hors de moi. Mais vers où précisément allais-je ? Etais-je en train de me diriger hors du monde ou étais-je plus présente à ce même monde ? Mais au fait Papa, nous n'avons jamais répondu ensemble à cette question : qu'est-ce que le monde au juste ? Le monde est-il ce qui nous apparaît directement ? N'est-ce pas plutôt ce que nous ressentons intuitivement mais qui ne s'exprime pas directement dans le monde que nous voyons ? Dans ce cas, cela fait-il réellement partie du monde ? Ne serait-ce pas l'œuvre de mon imagination ? Suis-je hors du réel quand je suis saisie par une puissante émotion esthétique ?
Mon petit Papa, si tu savais comme je hais ces moments d'incertitude. J'aimerais tellement que tu sois devant moi, pour que nous puissions essayer d'y répondre. Je me sens actuellement paralysée par cette farandole de questions. Je suis incapable de les assumer à 19 ans. D'ailleurs, y-a-t-il un jour où l'on devient capable d'y faire face ? Honnêtement, je n'en sais rien. J'aime concevoir la vie comme un grand voyage, avec des imprévus, des choses que l'on peut prévoir et anticiper et d'autres toutes nouvelles qui se présentent comme des opportunités. Je crois que plus la vie avance et plus on a la conviction que cette dernière est un vaste mystère. Un mystère oui, mais qu'il ne faut pas forcément chercher à déceler tout au long de sa vie par un prisme rationnel. Ce que l'on peut faire par la raison, c'est chercher dans la pratique et la théorie des principes unifiants de notre monde afin d'analyser plus clairement ses caractéristiques accidentelles. Voilà Papa, je me trouve une fois de plus perdue. Dans ma prochaine chronique j'aimerais me pencher vers la notion d'écoulement irréversible du temps qui je l'espère, ne me plongera pas une fois de plus dans des abîmes de perplexité.
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Chroniques d'un Zébrule
RandomChloé a 17 ans lorsque son père meurt d'un accident cardiaque. Un an plus tard, elle est diagnostiquée HPI, « haut potentiel intellectuel », par sa psychologue. Une partie de son passé se saisissant ainsi d'un nouvel éclairage et se sentant incomp...