15 Novembre 2019
Papa, il est deux heures du matin cette nuit et je n'arrive pas à dormir. Les angoisses me tenaillent. Tu vois, je me suis rendue compte que je devais prévoir mon avenir, mon plan de vie. Quand on finit sa terminale et qu'on atterrit dans le milieu universitaire, on se rend compte que tous ses idéaux d'adolescence n'étaient que des rêves de carton. Tu te souviens quand je voulais être actrice ? Haha, j'étais jeune et irréfléchie, il faut que je travaille, que j'ai un bon diplôme, beaucoup de diplômes, et j'ai de plus en plus d'ambitions, et tout s'emmêle, et je pense honnêtement me surcharger de travail, mais la perspective des études sérieuses me rassure. Cela me met dans un cadre, et c'est paradoxal, car même si j'aime être libre, avoir le dernier mot, ne pas me laisser me marcher sur les pieds, j'ai besoin d'un cadre pour m'empêcher de partir en vrille, pour me rappeler que je ne suis pas qu'un cerveau mais aussi un corps. Avec la façon l'an dernier c'était beaucoup plus dure parce que par rapport à la terminale, le cadre se dissout, et il faut apprendre à se prendre en main de son propre chef.
J'ai déjà 19 ans, le temps passe vite, je vais devoir fonder une famille, avoir un travail aussi, m'affirmer dans un chemin de vie très précis ... vivre, vivre, faut-il finalement vivre et exister ? Je sens mon esprit qui turbine à nouveau, des spirales sombres qui s'entortillent partout autour et en moi. Et je panique encore plus à l'idée de ne pas réussir à m'endormir, parce que demain j'ai une longue journée, et que je ne vais pas réussir à être productive.
On en parlait déjà souvent de ce genre de questions philosophiques quand tu me conduisait à l'arrêt de bus le matin, pour aller au lycée. Je suis tout comme toi, d'un naturel philosophique, de par mon appétence pour ces vastes interrogations humaines.
J'y ai réfléchi en me basant également sur ma propre expérience. Je dirais que « vivre » serait plutôt du côté de la survie, tandis « qu'exister » signifierait vivre pleinement sa vie, en ayant conscience de la valeur de celle-ci. Ce n'est pas forcément le sens qui est donné en métaphysique, mais je n'en n'ai que faire. J'ai expérimenté ces deux dimensions dans ma chair, et je pense que c'est suffisant pour que j'en déduise les deux catégories de pensée précitées. Quand j'étais en phase dépressive, ou anorexique, je vivotais. Je survivais, et même encore, je sens bien que je ne suis qu'en mode survie et que je vis avec la peur au ventre de de nouveau dégringoler la pente.
Beaucoup de gens, quand je les regarde dans la rue, me donnent l'impression qu'ils se contentent de vivre. Quand je les entends parler, ce sont les mêmes banalités que je peux entendre dans un déjeuner de famille chez Mamie qui reviennent en boucle.
Oh Papa, tu te souviens certainement à quel point ces repas traînaient toujours en longueur, je pensais à mille chose en même temps pour m'échapper de cette atmosphère pesante, ce qui faisait que j'avais du mal à rester à table jusqu'au dessert.
Nombreux sont ceux que j'entends se plaindre. C'est véritablement dans ce genre de moments que je ressens un profond mal-être avec moi-même. Quand je marche dans la rue personnellement, ou quand nous marchions ensemble dans les ruelles parisiennes, nous avions sans cesse des discussions philosophiques portant sur ce fameux sens de la vie. Ce n'est pas du tout ce que j'entends dans la bouche de la plupart des gens. Les « banalités » qu'ils émettent ne me donnent pas l'impression qu'ils fassent l'effort d'exister.
Tu vois mon petit Papa, exister est un mot audacieux. Depuis que tu es décédé, je suis sans cesse déchirée par des hésitations entre le fait de me contenter de vivre ou d'oser exister. Exister, reviendrait à oser faire mes propres choix. Pour cela, il faudrait que je sois vraiment sûre de moi-même. Or, à tout juste 19 ans, il est extrêmement difficile de savoir précisément dans quelle direction on désire orienter son existence, surtout quand on a un narcissisme aussi lacunaire que le mien. Amandine a dit qu'au cours des prochaine séances, nous travaillerons la fuite de la dépendance affective et la construction de la confiance en soi.
VOUS LISEZ
Chroniques d'un Zébrule
De TodoChloé a 17 ans lorsque son père meurt d'un accident cardiaque. Un an plus tard, elle est diagnostiquée HPI, « haut potentiel intellectuel », par sa psychologue. Une partie de son passé se saisissant ainsi d'un nouvel éclairage et se sentant incomp...