Mélanie n'avait jamais été du genre à envier qui que ce soit.
Modeste, elle s'était toujours contentée de ce que la vie lui avait offert sans jamais se plaindre. Et la vie n'avait pas été si mauvaise avec elle, au fond. Certes, elle n'était pas la plus belle ni la plus grande, elle n'avait pas une grande maison et son compte en banque était systématiquement dans le rouge avant la fin du mois, mais elle avait un toit, du chauffage, de quoi se nourrir, des amis sympas et une famille ultra collante. Alors tout allait bien !
Du moins, c'est ce que Mélanie, recroquevillée au fond du canapé sous un plaid en poil de pilou-pilou se répétait depuis environ une heure. Si seulement le pilou–pilou existait, elle en aurait adopté un ou deux. Voire peut-être trois. Avec des poils aussi doux, ça aurait forcément été un animal adorable, du genre à réclamer des calinoux tout le temps. D'ailleurs, si Mélanie avait eu des pilou-pilous, ils auraient certainement été collés à elle en ce moment-même. Ils auraient senti qu'elle en avait vraiment besoin, de calinoux, là, tout de suite. Ça avait l'instinct pour ça, les pilou-pilous, c'était sûr ! On pouvait compter sur eux.
Mélanie s'essuya le nez en reniflant tristement. Puisque les pilou-pilous n'existaient pas, elle se serait contentée d'un chat. Malheureusement, il n'y avait pas l'ombre d'un seul mistigri dans son appartement pour venir la consoler, la faire se sentir utile et appréciée, et, surtout, lui faire oublier que son chef avait préféré confier son projet à cette fille inexpérimentée. Ça ne l'aurait pas dérangé de partager le travail, au contraire. Mais non, il le lui avait purement et simplement retiré alors qu'elle y avait transpiré dessus pendant des semaines pour tout préparer, trouver les contacts, organiser le planning et surtout — surtout ! — se coltiner les barjos du service reproduction. Négocier les prix des flyers n'avait pas été une mince affaire ! Se dire que c'était une autre qui allait récolter tous les lauriers grâce au travail prémâché, c'était l'injustice ultime.
Dans les comics, ce genre de crimes était puni par un justicier aux muscles développés et à la chevelure lustrée. Un super-héros dont la seule présence réconforte et redonne espoir et dont le sourire réchauffe le cœur. N'importe quel héros aurait fait l'affaire, même sans cape ni collant. Mais il n'y avait pas l'ombre d'une silhouette masculine dans les parages. Enfin, il y avait bien son nouveau voisin qui avait emménagé la semaine dernière, mais étant donné ce qu'elle avait pu apercevoir, elle n'était pas sûre qu'il fut en mesure de soulever ne serait-ce qu'un pack de six briques de lait.
Alors Mélanie, pour la première fois de sa vie se disait qu'elle aussi, elle aurait bien voulu avoir un prénom qui évoquait les îles, une formation à huit mille euros l'année et des parents haut placés. Et puisqu'elle y était, elle aurait pu être jolie. Avec tout ça, elle aussi, elle aurait droit aux meilleurs projets, on lui ouvrirait les porte à chaque fois qu'elle entrerait quelque part et les gens se souviendraient de son nom bien après son départ au lieu de la confondre avec l'autre qui s'appelait Magali.
Oui, tout ça, ça lui changerait la vie !
Mélanie se moucha bruyamment et décida de se préparer un chocolat au lait. Ça, au moins, c'était dans ses moyens. C'était chaud, sucré et réconfortant. Faire chauffer le lait, verser la poudre et touiller, touiller jusqu'à ce le tourbillon envoûtant se mélange à la crème. Et puis savourer, doucement.
Enfin, encore fallait-il avoir une bouteille de lait. Frustrée par l'annonce de son chef, Mélanie avait oublié de faire les courses après le travail et il ne lui restait même pas de quoi remplir la moitié d'un verre. Au bord du désespoir, elle s'affala sur son plan de travail, le front contre un bras, et le verre à moitié vide pendu au bout de l'autre.
Mais tout n'était pas perdu. Peut-être une de ses voisines pourraient-elles la dépanner ? Elle enfila un pull et sorti frapper à la porte de Meredith. Puis celle de Valérie. Puis celle de Sophie. Ses voisines s'étaient-elles données le mot pour sortir le même soir ou bien avait-elle juste accumulé toute la poisse du monde en cet instant ? Elle aurait pu aller voir aux étages inférieurs, mais la panne de l'ascenseur l'en dissuada. Elle montait suffisamment les escaliers depuis un mois sans avoir à en rajouter pour un verre de lait. Elle préférait encore aller se coucher.
Alors qu'elle allait rentrer chez elle, la porte de son voisin s'ouvrit et elle découvrit la dernière chose à laquelle elle s'attendait : deux sourcils froncés au-dessus d'un peignoir bleu en pilou-pilou.
— J'ai été alerté par les coups dans le couloir, vous chercher quelque chose ?
— Oh... Euh... Je voulais juste me faire un chocolat chaud et je n'ai plus de lait. Mais laissez tomber, je suis sûre que vous n'en avez pas.
— Vous plaisantez ! Je viens d'emménager et j'en ai fait tout un stock. J'en ai monté deux packs hier.
Mélanie haussa un sourcil.
— Deux packs... de six ?
— Oui.
— Les huit étages ?
— Oui.
— À pied ?
— Forcément. J'espère qu'ils vont réparer l'ascenseur rapidement, d'ailleurs !
Mélanie ne répondit pas.
— J'ai aussi du chocolat en poudre. 70% de cacao. En fait, c'est marrant, je venais juste de m'en préparer une casserole. J'aime bien en boire en écoutant du violon...
Le jeune homme en peignoir sembla hésiter devant le silence de Mélanie.
— Si vous voulez... Enfin... Si ça vous dit, je peux partager avec vous ?
Pouvait-on faire confiance à quelqu'un qui portait du pilou-pilou et qui buvait du chocolat chaud le soir en écoutant du violon ? Assurément.
La jeune femme acquiesça et s'approcha. Son voisin la laisser entrer, et alors qu'il se retournait pour fermer la porte, elle découvrit le S de Superman qui ornait le dos de la robe de chambre.
En esquissant un petit sourire, Mélanie se dit que, tout de même, la vie était une sacrée farceuse.
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Abécédaire
Historia CortaRecueil de nouvelles et textes très divers ayant pour point de départ un mot inspiré par une lettre. Au sommaire : *A : Un ami pour la vie* Une fille un peu superficielle et allergique aux animaux doit se rendre à la SPA. #chicklit #plage *E : les é...