Chapitre 1

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Quand j'étais jeune, depuis tout petit, je voulais être normal.

Vous savez, cette normalité qui constitue à être aimé et accepté ? Celle ou tous les enfants ont des téléphones portables et des jeux vidéo. Ou c'était le loup qui était chassé par les moutons. Oui, c'était à ça que j'aspirais, avant.
Cela n'avait rien de bien compliqué, en somme. Il suffisait d'être gentil, de sourire au gens, de dire merci à la maîtresse quand elle faisait tes lacets et surtout de piquer des crises de colère devant la dernière Nintendo 3DS rien que pour l'avoir.
Il suffisait de ramener sa dernière toupie en métal (surtout pas en bois, c'était pour les "nuls" et les "ploucs" ces jouets-là), ses cartes pokémons pour frimer avec les copains. Ne pas mentir, mais quand même en dire assez pour faire saliver les autres. Ne jamais, au grand jamais, aller jouer avec les filles si vous étiez un garçon. Ne surtout pas toucher le ballon de foot quand vous portiez du rose, sous peine de vous faire enfermer dans les toilettes pendant tout le reste de la récréation.
La seule et unique loi de la jungle scolaire, c'est de se rendre le plus important possible. Tout cela pour être le plus aimé par ceux du même âge, admiré par les plus petits, envié par les plus pauvres et les plus solitaires.
Oui, on dit que c'est facile, et ça l'est, pour peu qu'on en ait la volonté.
Il suffit pourtant de ne pas faire semblant pour se retrouver à être la tête de Turc de toute l'école.

Je n'étais pas un menteur, et je ne le suis toujours pas. J'avoue, au début, je mentais un peu pour faire comme les autres, tout en disant la vérité en même temps. Par exemple, je ne disais pas que mes parents étaient séparés, juste que j'avais deux mamans et un papa. Ou je dessinais des cartes pokémons pour tenter de les échanger avec les autres. Ou encore, je disais que je n'avais pas de maison, alors que j'habitais chez mes grands-parents.
Vous voyez, ce ne sont pas de vrai mensonges, sauf avec les cartes pokémons. Mais on me traitait de "menteuse", de "mytho", d'"idiote". Donc j'ai décidé d'arrêter complétement de mentir, en me disant que ce serait sans doute mieux.
C'est dans ces années-là que ma voix à commencé à s'éteindre. Car je ne disais plus grand chose de moi, pour ne pas me faire insulter. Mais pourtant, mon décalage c'est encore aggravé. On me disait trop silencieux, trop discret, trop caché, et cela, même par les gens qui ont provoqué mon isolement.
Au fur et à mesure du temps, j'ai appris à baisser les yeux, à me laisser faire. Si je devais me faire frapper, je me faisait frapper. Si j'étais insulté, je laissais couler. Si je retrouvais ma trousse ailleurs que dans mon sac saupoudré de chewing-gum collant et gluant, c'était normal. Je n'avais pas le droit de pleurer, de me plaindre, sinon, c'était encore pire. Et puis ça n'était pas la peine, de toute manière, ça n'est pas important. Ce ne sont que des mots.
Je ne suis pas important, mes sentiments passeront. Ce ne sont que des mots, n'y fait pas attention. Quand tu seras plus grand, tu iras mieux. Car tout passe, non ? C'est ce que les gens disent quand tu ose leur avouer que tu es triste.

« Tout passe. Ça ira mieux. Arrête de faire la chochotte. »

Ce n'est qu'après que tu te rends compte que rien ne va vraiment aussi bien que cela s'est présenté. Que tu te rend compte que tu ne vas pas bien. Dans ce genre de moment, tu te réfugies dans ce que tu peux, ce qui te passe sous la main, pour ne pas montrer que ceux qui te font du mal t'en font, et pour faire croire au gens qui t'aiment que tout va bien.
J'avais à peine sept ans, et j'ai découvert ainsi le plaisir de la lecture. Ce plonger dans un monde où tu ne te fais pas étrangler ou frapper derrière un préau, un monde supposé beau, ou avec des héros plus magiques et magnifiques les uns que les autres qui vont sauver leur imparfaite existence pour en faire un paradis, et qui réussissent toujours à la fin.
Un monde où tu penses avoir assez de courage pour répondre au gens qui te font du mal. Comme les supers héroïnes qui n'hésitent pas à briser les parties génitales de quelqu'un qu'elles n'aiment pas. Ou à se saisir d'une épée de gladiateur pour pourfendre monstres et ennemis. Belles et flamboyantes. Je voulais être comme elles, savoir porter mes cheveux indisciplinés et splendides, sous un chapeau, pourquoi pas, avec une armure de métal et lacets de cuir, une épée au côté. Malheureusement, mes cheveux ne sont ni d'un roux exceptionnel, ni plein de boucles impossibles à coiffer. Ils sont même bien trop courts pour faire office de quoi que ce soit.

Tu te penses fort, heureux. Ce n'est qu'une illusion, sache le. Tu es toujours aussi faible, vulnérable. Tu manques toujours autant de confiance en toi ainsi que de panache grandiose. Demain, tu te cacheras encore derrière un arbre, recroquevillé contre le tronc en espérant être invisible, ton visage qui larmoie derrière les pages d'un énième livre.

J'ai lu une définition dans un dictionnaire, une fois. Ce n'est pas lui que je voulais voir, je cherchais le mot "précepte". Mais mes doigts avaient gratté le papier un peu trop fort, et j'avais fini dans la catégorie du "N". Le mot m'avait frappé, et j'avais été obligé d'y porter mon attention.

Normal : qui est dépourvu de tout caractère exceptionnel ; qui est conforme au type le plus fréquent (norme) ; qui se produit selon l'habitude (s'oppose à anormal).

Ce qui m'a le plus frappé ce jour-là, c'est l'antonyme. Anormal. Moi qui était tout le contraire de cette définition, je n'ai eu d'autre choix que de m'assimiler à ce mot, simplement parce que je n'en connaissait aucun autre, à l'époque.
Avait suivi l'exemple, encore plus frappant, tout simplement parce que c'étaient les mots que j'entendais tous les jours dans mon dos, quand ils pensaient que je n'entendais pas.

« Elle n'est pas normale : elle est bizarre. »

Je n'étais pas dans la norme. Je ne sortait pas d'un moule. Je n'avais pas les dernières chaussures à la mode, ou le cartable le plus cher, je ne vivais pas dans une grande et belle maison.
J'étais anormal. Bizarre. Décalé.
Silencieux, studieux, poli et souriant. Je n'aimais pas le rose. Déjà que j'étais inadapté à leurs désirs, il fallait en plus que mon manteau ne soit pas rose. Que mes chaussures ne soit pas Hello Kitty. Que je préfère les jeux de billes et les fusils en plastique à l'élastique et aux couettes des petites filles. Le refus que je subissais, c'était parce que j'étais un garçon manqué, et non pas un stéréotype sur pattes. Tout ça, parce que je n'avais pas de "zizi", comme disaient les petits. Tout ça parce que je haïssais le rose.

J'étais une fille, avec un manteau qui n'était pas rose, doté d'une timidité maladive, et d'un nez toujours dans une page ou une autre. Et rien n'a vraiment changé depuis.
Si ce n'est un détail. J'ai grandi.
J'ai dix-sept ans, maintenant.

Le Silence de Milo (Ou la redéfinition de la Normalité)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant