Chapitre 2

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Il était presque trois heures du matin lorsqu'Ever quitta son bureau. Il enfila un bonnet noir et une écharpe bleu nuit et passa la porte d'entrée. Il traversa mécaniquement les couloirs qu'il empruntait chaque jour pour se rendre dans les locaux où il exerçait –même si, désormais, exercer était un grand mot– sa profession. Il longea un premier corridor puis bifurqua à gauche, avant de franchir une seconde porte, puis de descendre les escaliers. Deux étages plus bas, il parvint finalement à la sortie.

Dehors, il continuait de pleuvoir. Les éclairs striaient le ciel de zébrures flamboyantes et disparaissaient aussitôt. Ever n'y prêta guère attention et prit le chemin du retour sous l'averse. Les rues étaient désertes à cette heure tardive, mais peu lui importait. Il aimait le calme électrique qui régnait, les temps d'orage. Pour toute lumière, les néons de quelques enseignes crépitaient, faisant danser leur reflet sur le sol humide. L'odeur du goudron se mêlait aux parfums familiers d'une pluie d'automne.

Un vélo passa un peu trop près et manqua de l'éclabousser complètement, mais le détective ne se retourna pas. Une longue écharpe rouge le frôla avant d'être emportée par la course de sa propriétaire et il entendit vaguement une femme lui crier des excuses. Il poursuivit son chemin d'un pas traînant, alors qu'autour de lui, les rares passants se précipitaient, parapluie à la main, pour se mettre à l'abri. Ever dénotait, dans cette ambiance.

Tandis que machinalement, ses doigts cernaient les contours de la pyramide fourrée dans la sacoche qu'il portait en bandoulière, une forme volatile attira son attention. Un merle venait de se poser à quelques mètres de lui. Sous la pluie battante, Ever avança pas à pas pour ne pas l'effrayer. Il parvint enfin à s'en approcher. Il s'agenouilla et risqua une main vers l'animal, quand brusquement, un éclair stria le ciel, suivi du grondement menaçant du tonnerre. Le détective s'immobilisa, momentanément aveuglé. Apeuré, le merle s'envola, abandonnant derrière lui une volée de plumes humides qui envahirent le champ de vision du jeune homme.

Soudain, les gouttes cessèrent de s'abattre sur son crâne. L'ombre d'un parapluie recouvrit le sol à ses pieds. Le souffle d'Ever se coupa et son cœur vibra douloureusement dans sa poitrine.

— Il n'est guère raisonnable de se promener par ce temps, Ever.

Les yeux du détective s'écarquillèrent et il s'aperçut qu'il avait arrêté de respirer. Seules les gouttes glissant sur ses cheveux de jais et tombant à un rythme régulier créaient un semblant de mouvement dans son champ de vision. Le reste s'était figé dès lors que la voix avait résonné.

Il se retourna et fit face à l'expression bienveillante d'un individu d'âge mûr, dont la silhouette solidement ancrée au sol s'étirait en contre-plongée, gigantesque, mais apaisante. Il était vêtu d'une ample veste noire et de son éternel haut-de-forme. L'écharpe orange qu'il portait frôlait les mèches trempées d'Ever. L'homme, penché vers lui, avait la main tendue dans sa direction et un sourire engageant. À quoi devait-il bien ressembler, de son point de vue ? Abrité sous son parapluie, observant d'en-haut la silhouette recroquevillée d'un être squelettique qui levait sur lui un regard écarquillé... Ever devait paraître bien risible.

« Non... Ce n'est... pas possible. »

Le détective le dévisagea comme s'il venait de croiser un fantôme. La main du Professeur s'avança un peu plus. Son sourire s'élargit.

— Rentrons.

La tentation était si grande, de saisir cette main avenante, partir avec lui et poursuivre cette vie qu'ils avaient abandonnée derrière eux, dix ans auparavant... mais ce n'était qu'une pâle utopie. La gorge du détective se comprima à cette pensée. Il s'efforça de lui adresser un semblant de sourire, mais il s'évapora. Ever ne pouvait décidément pas tricher avec ses émotions. Pas avec lui.

Ever Lightwess - Partie I : OphaniaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant