Repas de midi

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J'ai appris avec le temps qu'il fallait que je mange à midi, sans quoi je n'allais pas tenir jusqu'au dîner et j'allais me goinfrer au goûter de l'après-midi.

De plus, j'ai plus de chance d'éliminer les calories avalées durant l'après-midi que durant mon sommeil.

À midi je me sers donc une petite assiette. Des pâtes, pour tenir. C'est tout : pas de pain, pas de fromage, pas de dessert.

Il y a un garçon là-bas qui m'a dit d'aller chez un psy l'autre jour. Comme si je ne l'avais jamais fait. Mais ils sont tous pareils : ils vous aiguillent jusqu'à ce que vous soyez obligés de dire ce qu'ils pensent et qu'ils veulent que vous disiez.

« Tu ne manges pas parce que tu te trouves moche ?

— Oui.

— Mais tu sais que ce n'est pas le cas ? »

En quoi cela peut-il bien m'aider ? Tant mieux pour toi si tu ne te trouves pas moche ! Moi j'ai l'impression de l'être.

Je suis trop grosse. Ou du moins, je serais encore mieux avec quelques kilos en moins. Je ne veux pas seulement qu'on me dise que je ne suis pas moche. Je voudrais qu'on me dise que je suis belle. Et pour cela, il faut que mes cuisses fondent, disparaissent.

Tu auras juste l'air d'un squelette.

Mais cela plaît aux autres.

Je décide finalement de m'asseoir à côté de ce garçon. Je mange lentement. Le plus lentement possible, afin de ne pas prendre plus que je n'en aie besoin.

L'autre fille à la table brise le silence pesant qui s'était installé. Plus à l'aise, je me lance, et je lui explique tout cela : les psychologues ne servent à rien. Il se trompe à penser que je n'en ai pas vus : j'ai passé mes derniers mois dans leur bureau. Mais ils ne m'ont pas aidée. Au contraire, c'est devenu plus fort. Je résiste mieux, je mange moins. Avant, je cédai parfois, et je me goinfrais ; une tablette de chocolat. Deux. Trois. En une après-midi. Ensuite, me sentant coupable, j'allais tout vomir aux toilettes.

Mais ça, aujourd'hui, c'est fini : à présent, je mange. Un peu. Assez ? Non.

Veux-tu bien m'aider ?

Il n'en a pas l'air capable. C'est trop pour lui. Je suis trop moche, il ne pourra rien faire pour moi.

Ou tu es trop malade, et il n'est pas psy.

Je laisse tomber et quitte la cantine. Tu vois petite voix intérieure, j'ai raison : je suis moche et personne ne peut m'aider. Alors je vais continuer ainsi jusqu'à être satisfaite de ma silhouette.

Comme si tu allais l'être un jour...

C'est s'il y a peu de calories que je mangeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant