Plus que 48 heures avant la quille. La fin de ce séjour dans l'espace s'annonçait plutôt tranquille. Pas d'opération de dernière minute, pas de panne (enfin, croisons les doigts), nous allions enfin passer Noël en famille, cela faisait au moins quatre ans que cela n'était pas arrivé en ce qui me concerne.
Le commandant aussi affichait une mine réjouie. Ce n'était pas aussi fréquent que cela, alors j'en profitais pour lancer une vanne ou deux, histoire de passer le temps. Il riait bien volontiers et se prenait même au jeu avec des répliques étonnantes.
Tom Chester, 48 ans, commandant en chef de la mission M-311. Une personnalité bien trempée. On sentait bien qu'il avait dû compenser sa petite stature par une détermination sans faille et une envie de réussir sans limite, quitte à faire des dégâts à proximité et à être plus ou moins réglo. Certains le trouvaient arriviste, d'autres méritant. Quant à moi, j'avais pour lui un certain respect mais surtout beaucoup de crainte. Il valait mieux être dans ses petits papiers. Ses colères légendaires avaient pour effet de vous réduire à néant en moins de temps qu'il n'en faut pour brûler une tonne de kérosène ! Marié, et divorcé (évidemment !), il n'entretenait depuis que des relations sans suite dont il nous parlait occasionnellement. Il est vrai que notre mode de vie n'a qu'une compatibilité limitée avec une vie de famille 'normale', si tant est que cela signifie quelque chose.
Mais pour l'heure, la bonne humeur régnait à bord, et lors du point quotidien avec le centre spatial Johnson, nous n'avions que des bonnes nouvelles à annoncer, ce qui n'était pas si courant. Après les formalités de routine, nous avons alors repris nos activités quotidiennes. Du sport, de la recherche, du sport et encore du sport. Après ces douze longues semaines passées à bord de la station orbitale, notre corps avait quand même pris quelques mauvaises habitudes et le retour sur terre promettait d'être difficile.
Peu après le début de l'après-midi, alors que je me trouvais dans le labo pour tenter de terminer une expérience impliquant une variété de sauterelle, le calme ambiant fut brusquement rompu lorsqu'un bruit sourd vint perturber le fond sonore habituel. Nous étions accoutumés au ronronnement de la soufflerie, aux tintements plus ou moins réguliers dans la tuyauterie. Mais tout bruit inhabituel ne nous faisait généralement pas sursauter. Mais là, quelque chose venait de heurter la station, une légère vibration s'étant faite ressentir simultanément. Je pensais immédiatement qu'un débris nous avait heurté. Ce ne pouvait pas être une météorite, c'est plus violent et les radars nous auraient alertés. Je restais interdit pendant quelques secondes, redoutant qu'autre chose ne se produise.
Je sursautais alors quand l'interphone grésilla et me sortit de ma torpeur. La voix du commandant Chester se fit entendre. Je perçu une pointe d'inquiétude tout à fait inhabituelle chez ce gaillard sûr de lui et autoritaire. La surprise, il ne connaissait pas. La dernière fois où il avait eu ce type de voix nous avions bien failli y rester... mais c'est une autre histoire.
« Mon commandant ? », répondis-je d'une voix mal assurée.
« Viens voir ça, je n'ai jamais rien vu de tel.... Ici..., rejoins-moi dans le module Tranquility, tout de suite ! »
« 5/5, j'arrive... », raccrochais-je juste avant le clic de fin de communication.
Je n'ai jamais aimé ces moments étranges et mystérieux où tout semble possible. Il ne me fallait que 3 minutes pour me rendre au module d'observation, mais j'avais déjà échafaudé trois ou quatre hypothèses, dont l'une au moins prolongeait notre séjour dans l'espace de deux semaines... ce qui nous faisait rentrer l'année prochaine.
Mais la réalité dépasse souvent la fiction et ce que je découvris à travers le hublot de la coupole d'observation me fit froid dans le dos. Qu'est-ce que cette chose faisait dans l'espace, à 350 km de la terre, intact, d'un noir profond. En me rapprochant du hublot principal, je distinguais mieux cette sorte de boîte, longue de 2 mètres environ, mais sa forme générale me faisait penser à un ... cercueil, oui, c'est bien ça un cercueil dans l'espace « Jamais rien vu de tel... ici... », Je comprenais mieux la surprise du Commandant.
L'objet flottait là, à environ 10 centimètres de la station. On aurait dit qu'il avait été comme attiré là et qu'il s'était stabilisé, comme arrivé à la fin d'un long voyage.
« Putain, qu'est-ce que c'est que ce bordel ! C'est quoi ce machin ? » maugréait le Commandant. Il avait perdu son assurance légendaire, et cela ne me rassurait pas.
Il est vrai, qu'en tout autre lieu, découvrir un tel objet relevait du domaine du possible, peu probable en dehors des pompes funèbres ou lors de funérailles, mais possible. Ici, dans l'espace, cela était totalement exclus. J'étais moi-même persuadé que j'allais me réveiller dans peu de temps. Le moins de temps possible, de préférence...
« Tu restes ici et tu ne le quittes pas des yeux ! » m'ordonna le chef
« A vos ordres mon Commandant » lui répondis-je, les réflexes de l'armée revenant bien vite.
Je devinais qu'il était parti contacter la base, à Houston, demander des instructions et éviter le légendaire « Nous avons un problème ! » Ce qui se présentait aujourd'hui ne s'était bien sûr jamais produit avant, alors ça allait être un sacré bazar en bas.
Je me concentrais sur " l'objet ". Il semblait tout à fait impeccable, pas une égratignure, pas une trace... je frémissais... il semblait... parfait. Mais parfait pour quoi ? Pour un cercueil ? Non, cela n'avait aucun sens. Mon regard glissait sur ses arêtes, une à une. Puis j'explorais le plus petit côté. On y décelait une sorte d'inscription, ou tout du moins une trace de quelque chose. Manifestement nous n'en saurions pas plus avant de l'examiner de plus près.
A ce moment-là, je voyais les choses simplement, c'était presque enfantin : ouverture du sas, positionnement du bras articulé Canadarm, arrimage, on rentre l'engin dans le compartiment d'amarrage. Vu la taille de l'objet, on peut sans problème le ramener sur terre dans la navette et on passe le bébé à nos amis scientifiques. Oui, cela allait être réglé en moins de 24 heures, opération de routine. Enfin, osais-je le croire.
Quinze minutes plus tard, le commandant déboule en râlant, je ne comprends pas ce qu'il dit, mais dit-il quelque-chose ?
Le commandant s'appuie sur le hublot, s'essuie le front avec le revers de sa combinaison et se tourne vers moi : « Bon, petit, on va devoir ramener ce foutu machin à l'intérieur » (mon scénario optimiste se mettait en place), « et ensuite on va devoir l'examiner ici même » (là, mon scénario prenait du plomb dans l'aile)
« Comment ça on l'examine ici ! On ne sait même pas ce que c'est ! »
« Et c'est pour ça qu'il faut l'examiner ! » - Logique.
« Convoque les autres. Réunion à... (Il consulte sa montre) 15h30, ça leur laisse le temps de rappliquer. »
« Je fais le nécessaire, chef ! »
Je sortis rapidement de la coupole d'observation et me saisis du premier interphone qui me tomba sous la main. Dix minutes plus tard j'avais réussi à joindre les quatre autres membres d'équipage. Dans une heure nous serons tous réuni. Les autres ne savent pas encore ce qui nous attend. Moi non plus.
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La légende des douze Mondes
Science FictionDeux semaines avant Noël. Tout se déroule à merveille à bord de la Station Spatiale Internationale, et Boby se voit déjà passer les fêtes sur terre et en famille. Mais un événement improbable vient perturber la relative quiétude ambiante : un objet...