Résonance

Eren

Le soleil levant faisait doucement miroiter l'eau dans les cheveux brun de Sasha. Après une expédition, la soldate avait pris pour habitude de prendre une longue douche dès le lendemain matin. Elle se levait tôt, contrairement à l'accoutumée : il n'y avait généralement personne à cette heure et elle pouvait profiter du silence bienveillant qu'offrait le jour naissant en écoutant le clapotis irrégulier de l'eau sur sa peau. Dans ces moments là, Sasha se demandait souvent si elle avait bien fait de rejoindre le bataillon d'exploration.

L'eau coulait sur son corps nu, entraînant dans son sillage les derniers vestiges de meurtres que ses doigts de jeune fille avait commis, et laissant derrière elle une vague sensation de légèreté. L'eau coulait, encore et encore, et Sasha pensait, repensait, se remémorait, encore et encore.

Elle pensait à ses camarades tombés au combat. À ceux que Bertolt, Reiner et Annie lui avait enlevé.

Annie...

Que devait-elle se dire, enfermée dans son cristal, et endormie comme une enfant que l'on venait de mettre au lit ? Les entendait-elle lorsqu'ils se trouvaient près de sa prison de cristal ? Sortirait elle un jour de son cocon de minerai ? Sasha ne savait pas. Elle ne savait plus, et d'un côté, elle n'avait pas vraiment envie de savoir. Et l'eau coulait, coulait encore et encore sur son corps de jeune femme.

Bertolt...

A quoi pouvait-il bien penser, enchaîné, bâillonné et isolé de tous dans les sous-sols du QG ? Avait-il des regrets ? Repensait-il à Mikasa ? À tout le mal qu'il lui avait fait ? À tout le mal qu'il leur avait fait ? Là non plus, elle ne savait pas. Et plus elle réfléchissait moins les réponses à ses questions lui paraissaient évidentes.

Reiner..

Que pouvait-il faire à présent, quand deux de ses complices étaient détenus captifs par le bataillon d'exploration ? Où pouvait-il bien être ? Avec qui surtout ? Quel était son objectif à présent ? Chercherait-il à libérer ses amis ? Encore des questions sans réponses, et Sasha commençait à en avoir le tournis.

Il y avait bien longtemps qu'elle ne s'était pas posée autant de questions. Ou plus exactement, il y avait bien longtemps qu'autant de ses questions étaient restées sans réponses. Ses pensées tourbillonnaient au rythme de l'eau qui coulait, et cela lui donnait mal à la tête. Elle avait l'impression que quelqu'un s'amusait à gratter une aiguille particulièrement aiguisée derrière ses rétines, et plus elle se concentrait sur la douleur, plus celle-ci s'intensifiait au point de lui couper le souffle.

Cette douche prenait de dangereuses allures de noyade.

Dans un geste maladroit, la brune ferma le robinet en se laissant tomber à genoux contre le sol froid de la salle de bain .

La main à plat sur le mur, l'autre perdue dans sa masse de cheveux bruns, Sasha haletait. Elle n'avait plus la pression du champ de bataille sur les épaules, elle n'avait plus la peur qui lui tordait les tripes, encore moins les cadavres sanguinolents de ses camarades sous les yeux. Et pourtant, la douleur était bien là. Vivace, odieuse, et ô combien infernale.

Peut-être était-ce trop pour ses frêles épaules. Peut-être n'aurait elle jamais dû s'engager dans l'armée. Elle n'aurait jamais eu à affronter si souvent  La Faucheuse et à l'observer la narguer en prenant une à une les vies de ses camarades. Elle n'aurait jamais eu à supporter de voir ceux qu'elle avait un jour appeler ses « amis » devenir les architectes de ce tombeau sans issus qui se refermait lentement sur eux. Elle n'aurait jamais eu à tuer tout simplement. Elle n'aurait jamais eu à se sacrifier.

Pour quelles raisons d'ailleurs donnait elle son cœur à l'Humanité ? Contre qui se battait elle ? Elle n'en avait aucune idée. Au départ, elle pensait se battre contre les titans, puis il avait été découvert que les titans n'étaient pas leur vrais ennemis. Ils avaient remonté la piste jusqu'aux Trois Traîtres et en avaient neutralisé deux. Pourtant, ils savaient tous que Reiner ne serait pas leur ultime ennemi. Alors qui ? Contre qui se battaient ils tous ? Sasha ne savait vraiment plus, et la frustration de savoir qu'elle était encore une fois totalement impuissante menaçait de la briser pour de bons.