Transition significative (partie 2)

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"Mon demi-frère est un autiste magique libidineux"

« Euh... »

La magie retomba, en même temps que les stalactites, qui se brisèrent au sol avec fracas, mouillant le plancher détaillé. Ambroise se retourna, surpris en flagrant délit de danse endiablée, seul dans sa chambre, avec pour seul accompagnement musical un léger air de piano provenant de l'extérieur.

Ambroise rougit brièvement, se racla la gorge pour briser la tension gênante, et bomba le torse.

« T'as vu comme je suis bien habillé, petit frère ? »

Il détourna la conversation avant même qu'elle n'eut commencé, pour ne pas avoir à se justifier sur son comportement étrange, celui d'un demi-frère illégitime débarqué tout récemment et dansant seul dans sa chambre sous l'effet de l'euphorie, comme un gamin.

« O-oui mais... »

« Regarde comme ma combi me va bien ! »

Bombant le torse, il semblait fier, dans sa combinaison noire s'amalgamant avec sa peau foncée. Seule se détachait la grande cape bleue de cette forme entièrement noire, réhaussée par les deux orbites blanches au centre de son visage, ses yeux, si singuliers, dépourvus d'iris et de pupille.

« Non mais je v... »

« Papa va être ravi », déclara-t-il triomphalement, haussant légèrement le ton pour dominer les interrogations de son frère.

« Pourquoi tu dansais tout seul ? » plaça enfin Luv d'une traite dans la discussion, coinçant Ambroise en face du fait accompli : il se comportait au mieux comme un gamin, au pire comme un attardé profond.

« Euh... Faut que j'y aille... »

Le noiraud chercha une issue, autant physiquement, en cherchant à sortir de la large pièce, que dialectiquement, pour se tirer de sa posture délicate, esquivant la question.

Luv se mit en travers de sa route, le bloquant, tel un mur, un petit mur, qui faisait une tête de moins que celui qui était pourtant son cadet.

« Pousse toi, gringalet, j'ai un rendez-vous galant. »

Il poussa négligemment son demi-frère de l'épaule, qui vacilla, mou et sans prestance.

« Q... Quoi ?! »

Luv était interloqué. Déjà, il surprenait son cadet en train de gesticuler tel un énorme demeuré dans sa chambre, fenêtre ouverte, lit défait, stalactites flottant dans l'air, et maintenant, il partait, d'un coup, louvoyant autour des questions, en prétextant... En prétextant quoi ? Un rendez-vous galant ?! Le jeune homme retint celui qui s'apprêtait à partir par le bras. Ambroise renchérit :

« Oui, Mademoiselle la Pucelle, un rendez-vous galant. »

Son sourire parlait pour lui.

« M-Mais... Mais, mais, mais... Comment ?... Qui ?... Où ?... Quoi ?... »

« Ça... »

Ambroise, l'air coquin, fit un clin d'œil entendu, et reprit :

«  ...Ça me regarde ! »

Le jeune homme aux cheveux gris resta bouche bée, devant cette discussion dont le bon sens se désagrégeait au fil des mots de son imbécile de frangin. À nouveau, Ambroise tenta de se dégager, se sentant visiblement au sommet de sa virilité rayonnante. Luv, tant bien que mal, ses yeux vairons grands ouverts par la surprise, n'en démordit pas : il avait désormais deux questions qui lui taraudaient l'esprit.

« N... Non mais, a-attends, là, tu n-n 'iras n-nulle part, j-jeune homme ! Tu vas g-gentiment m'ex-m'expliquer, d'une, pourquoi tu danses seul, dans ta chambre, et-et de deux, q-quelle est cette histoire de rendez-rendez-vous galant ! »

Frustré devant la ténacité inhabituelle de son frère, Ambroise poussa un soupir ennuyé. Il n'avait plus le choix. Comme d'habitude, il allait se replier sur son cynisme légendaire et son extravagance intarissable.

« M... Mais qu-qu'est ce que !... »

Avant que Luv n'aie pu se débattre d'une manière ou d'une autre, le grand gaillard en face de l'avait saisi par la taille, puis rapproché de lui au point que le garçon aux cheveux gris voyait son reflet sur la surface mouillée des yeux d'Ambroise, et avait, de sa main libre, prise celle du petit Luv.

« Oui, je vais voir une fille, Lulu, une femelle, avec tout ce qu'y faut là où y faut !... »

Il fit valser « Lulu » sur le lit, d'un coup, comme une vulgaire poupée gonflable.

« M... MAIS... TU NE VAS PAS FAIRE COMME PÈRE, DIS DONC ! »

Comme une vierge effarouchée, le jeune homme, encore plus efféminé qu'il ne l'était déjà, sa voix montant dans les aigus sous le coup de la colère comme une cantatrice d'opéra, se redressa d'un coup sur le lit, effrayé par la tournure des évènements... Seigneur, Seigneur, doux Jésus, Sainte Marie, Joseph, il était hors de question qu'il laisse son frère avec une femme. Frère qui s'était entretemps remis à danser, faisant apparaître des bulles de givre partout autour de lui. Un pas à gauche, un pas à droite, une pirouette en avant... Sa cape voltigeait de tous les côtés, et Luv remit en question, à cet instant même, le sens de toute son existence et surtout la santé et l'âge mental de son frère. Il en était persuadé, maintenant, il savait pourquoi son père avait rechigné à reconnaître son bâtard : c'était un pur mongol. Ambroise, entre deux pas de valse, reprit :

« ...Et pourquoi pas, dis donc ? On ne va pas jouer aux cartes, tu penses bien, he he ! »

D'un gracieux mouvement, il envoya toutes les bulles de givre sur son aîné, qui poussa un petit hurlement ridicule avant de rétorquer, furieux, la voix plus aiguë qu'un castrat :

« MAIS-MAIS-MAIS-MAIS T'ES COMPLÈTEMENT IDI-IDIOT !!! TU ES D-DÉGOÛ-DÉGOÛTANT ! JE T'INTER-T'INTERDIS D-DE FAIRE QU-QU-QUOI QUE CE SOIT AVEC QU-QUI QUE CE SOIT ! »

Ambroise dansait de plus belle, avec plus d'ardeur qu'un cheval en rut, et Luv savait qu'il était dangereux, ce mongolo qui se trémoussait devant lui, parcourant la chambre de long en large, sur un pied puis sur l'autre, plus désarticulé encore qu'une poupée de chiffon. Que la puberté passe, pour l'amour de Dieu ! Le jeune homme aux yeux vairons se releva, furieux, rouge de honte. Son cadet, euphorique de le faire enrager, en profita pour s'enfuir vers la porte aussi vite que possible, mais, en ouvrant la porte, quelle ne fut pas sa surprise de voir Luvender, son père, le Pape, debout dans l'encadrement, d'aspect effrayant, mine terriblement renfrognée, sourcils froncés au point d'en exagérer de manière presque cartoonesque sa ride du lion. Ça allait chauffer pour son derrière !

L'illustre Luvender rentra, Luv baissa la tête, soumis qu'il était, et Ambroise en profita, coquin, pour détaler à toute vitesse, en gueulant à tue-tête :

« À plus tard Tapette, je vais tremper le biscuit et je te ramène ton neveu ! »

(1047 mots)

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Le texte est entièrement écrit par Poulpegirl et corrigé par cette même personne.
Je ne peux que la remercier pour un tel écrit qui restera certainement un de mes préférés !

J'espère qu'il vous plaît comme il nous plaît et nous espérons qu'il vous a bien amusé.

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