Cela fait plus d'un an que Carotty tourne en rond. Elle cherche désespérément de quoi lui rendre ce bonheur qu'elle est persuadée d'avoir déjà ressenti un jour. Un très grand bonheur.
- Hey soeurette, viens voir ! J'ai trouvé une araignée !
- Laisse- moi, répond Carotty à son grand frère, je réfléchis.Son grand frère, les gens du zoo l'ont appelé Pim. Carotty pense toujours que ce surnom lui va bien. Mais il manque de quelque chose... D'un soupçon de liberté.
- Tinelle, je te jure que ça vaut la peine de venir voir la bestiole ! cria l'autre frère à Carotty. Elle est vraiment terrifiante !
- Je suis occupée, grogna la renarde.Tinelle, c'est par ce prénom qu'elle répond, au zoo. Un prénom qu'elle déteste très très fort. Un prénom sans aucun sens, dénué de tout intérêt à ses yeux. Elle n'aime pas quand on l'appelle comme ça, surtout quand ce sont ses frères et sœur qui le font.
- Pim et Doon ont raison, ajoute la sœur, viens la voir avant que je te la lance à la figure !
- Tais-toi, Lady ! Vous êtes tous ridicules ! Je suis sûre qu'on aurait pu croiser des tonnes d'araignées comme celle-ci, à la maison !
- Calme-toi, intervient Pim. Écoute, Tinelle, quoi que tu insinues, sache que notre maison est ici. C'est là que nous sommes nés et que nous mourrons.Carotty se tait. Elle regarde son frère sans comprendre. Ils sont tous bêtes, pense-t-elle.
Toute leur misérable vie, ils l'ont passée dans cette cage. Et les trois aînés sont persuadés y être nés. Seulement... Ce n'est absolument pas le cas de Carotty. Depuis toujours, elle sait qu'elle a connu la liberté. Elle ne sait pas à quoi elle ressemble ni à quoi peut faire penser le son de sa voix mais, au fond de son cœur, Carotty espère un jour la retrouver. Mais comment la petite renarde peut-elle sentir tout ça ? Et bien, elle se souvient tout simplement de la berceuse que lui chantait une douce voix. Qui ? Quand ? Où ? Pourquoi ? C'est un véritable mystère.
Sa fratrie la considère folle. Personne ne veut la croire.
- La taille de ton cerveau est proportionnelle celle de ton corps, lui répète souvent Lady.
Certes, Carotty est plus petite que les autres et bien moins corpulente, mais cela ne justifie en aucun point une quelconque bêtise de sa part.Sous l'emprise d'une haine presque incontrôlable, Carotty s'écarte pour se cacher dans un petit tronc mort. Elle est juste de la bonne taille pour éviter les autres. Eux, qui ne peuvent pas y entrer à cause de leur plus grand gabarit. Là, la renarde tente de se calmer. Une fois son esprit dégagé de la colère, elle réfléchit.
Doon, bien que très vicieux, ne lui a rien dit, pour une fois.
Lady, que Carotty renie au plus profond d'elle, l'a encore cherchée.
Et Pim, qui est d'habitude le plus sensé de la bande, le plus gentil et respectueux, a littéralement trahi sa cadette. Carotty lui dévouait une certaine admiration devant sa sagesse, mais après ce qu'il lui a dit aujourd'hui...Les pensées de la renarde sont soudain troublées par un petit retentissement très reconnaissable. Carotty sort donc sa tête du tronc mort et aperçoit sans grand étonnement ce petit visage familier, qui lui plaît tant. L'animal, avec son pelage d'un roux flamboyant, s'approche du grillage. Derrière, elle voit une foule d'autres visages, tous inconnus. Tous, sauf un. Celui d'un petit garçon souriant. Toujours fier de porter son petit déguisement de marin, il salue Carotty en soulevant son berret. Pendant ce court instant, elle peut lancer un léger coup d'œil à ses cheveux blonds platine. Couleur qu'elle ne voit pas souvent sur la tête de tous ces passants quotidiens. Contrairement aux autres visiteurs, le drôle de petit moussaillon passe au moins trois fois par semaine pour rendre visite à la renarde. Au passage, il lui donne quelques friandises en cachette. Elle adore quand il vient le voir. C'est l'un des seuls moments où elle se sent réellement accompagnée.
L'enfant finit par rentrer chez lui. Carotty, elle, reste là. Elle n'a nulle part où aller, de toutes façons. Elle enfermée ici. Elle regarde les gens qui passent. Certains ne font pas attention à elle. D'autres lui envoient des sourires amusés. Les plus jeunes se collent aux vitres, s'agrippent au grillage. Ils veulent mieux voir le spectacle. Carotty. Mais je ne suis pas une bête de foire ! s'indigne-t-elle.
À la nuit tombée, elle scrute le ciel avec envie. Et si je m'envolais tout là-haut, près des étoiles ? Au moins, je ne serai plus coincée dans cette maudite prison. Mais contrairement aux pigeons qu'elle a l'habitude de voir traverser le zoo tout au long de la journée, elle n'a pas d'ailes. C'est alors qu'elle se surprend à envier ces oiseaux. Berk, ils sont moches et sales ! Hors de question de devenir comme eux ! Ce qu'elle se force à faire, c'est d'oublier la réelle raison pour laquelle elle les envie : eux, au moins, ils ne sont pas bloqués par plusieurs mètres de grillage.
Quelques jours défilent. Carotty n'adresse plus la parole à aucun de ses frères. Ni même à sa satanée sœur. Elle compte sur l'unique réconfort du petit marin pour lui redonner le sourire.
Un matin, le bruit d'un moteur la réveille plus tôt qu'à son habitude. Elle sort la tête de son vieux tronc, les yeux toujours endormis. Sa vision, floutée par la fatigue, ne lui permet que de distinguer une camionnette près de la cage voisine. Elle se frotte les yeux un instant avant de se rendre compte de l'arrivée d'un nouvel animal. Elle voit alors deux hommes sortir du coffre un boule de poils blanche et la déposer dans l'enclos d'à côté. Cette fois, c'est officiel, Carotty a enfin de quoi faire la causette !
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Cette nuit d'automne
FantasyCette nuit là, l'automne agitait la forêt de sa brise fraîche. Cette nuit là, l'automne observa le spectacle d'une nouvelle vie : celle de Carotty, renarde sauvage. Mais cette même nuit, l'automne fut troublée par les hommes. Ces hommes qui ont cham...