Une légère brise

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L'automne avait enfin montré le bout de son nez. Cette saison était sa préférée. Malya savourait le parfum des feuilles mortes. Elle se délectait en écoutant les sons de ses petites pattes frêles au contact des brindilles. Les craquements, lui rappelaient les bruits de carapaces qui se brisent, laissant place à un flot de nouveauté, de bonheur ! Pas de doute, l'automne était sa saison préférée. Et c'était aussi cette période de l'année où elle se sentait le plus en sécurité. Son pelage d'un roux flamboyant se fondait parfaitement dans le décor. Le décor de la forêt. Cette forêt qu'elle aimait tant, et qu'elle n'avait jamais l'intention de quitter.

L'automne avait enfin montré le bout de son nez. Cette saison était sa préférée. Malya marchait doucement en observant les feuilles se séparer de leur branche respective pour finalement atterrir avec délicatesse sur le sol humide. Un lapin dans la gueule, elle tentait d'oublier la douleur de son énorme ventre. Elle s'arrêta un moment pour respirer un bon coup. Il fallait vite rentrer, se mettre à l'abri, s'allonger. Elle avait très mal. C'était atroce. Elle reprit sa proie et continua sa marche en boitant.

Enfin, elle aperçut le grand arbre creux. Son grand arbre. Sa maison. Elle réussit à pénétrer par l'étroit passage malgré la largeur de son ventre. Elle se posa. Elle ne toucha même pas au lapin. Elle n'avait pas le temps d'avoir faim. La douleur était telle, que nul ne peut l'imaginer. Malya resta couchée là un long moment, criant l'atrocité de sa souffrance. Et pendant un court instant où ses peines semblaient s'être calmées, elle ferma les yeux. Elle rêva alors de son petit monde merveilleux : de sa forêt baignée dans ces tendres lueurs automnales, laissant échapper de faibles rayons de soleil contre les feuilles aux reflets dorés. Toute cette atmosphère paisible...

Ainsi, elle reprit confiance. Le courage lui parvint. Et elle sut surpasser la rude épreuve d'horreur qu'elle subissait. Elle avait hâte que ce soit terminé. Elle avait hâte d'expulser le fruit de ses entrailles, de mettre fin à cette souffrance et d'observer sa conception. Elle dut tout de même attendre que la nuit tombe pour sentir le bon moment. Oui, le VRAI bon moment.

Cette nuit d'automne, Malya, se vit -après des heures et des heures infinies de mal-être- devenir maman renarde. Elle put enfin prendre le temps de regardez les faibles mouvements de ses petits renardeaux. Il y en avait quatre. Quatre petits anges dont elle devrait s'occuper. Quatre petits anges qu'elle voyait déjà devenir les rois de la forêt. Mais elle se préoccupa d'un de ses bébés en particulier. Ce bébé était en fait une petite renarde. Toute petite. La petite dernière, dont la taille était presque deux fois plus petite que ses frères et sœurs. Malya sut que le petit animal, trop fragile, n'avait que très peu de chance de survivre. Mais elle voulait la préserver. Et c'est ainsi qu'elle baptisa la minuscule créature rousse "Carotty".

«Carotty, mon enfant, chantait Malya, tu survivras. Comme ta mère, tu grandiras dans l'air sauvage de nos terres. Tu savoureras la fraîcheur de l'Hiver, l'odeur des fleurs au Printemps, la lumière du soleil en Été. Mais surtout, tu verras la beauté de l'Automne et de ses admirables couleurs d'amour. Comme ton père, tu gambaderas avec grâce parmi les papillons, et tu immiteras les loups les soirs de pleine lune. Carotty, mon enfant, tu survivras !»

Passèrent quelques heures encore. Le soleil n'était pas encore levé. Par les fissures entre les écorces du tronc creux, Malya apercevait des étoiles briller dans le ciel obscur. Elle n'arrivait pas à dormir. Elle avait peur pour ses petits. Enfin surtout pour Carotty qui n'arrêttait pas de gesticuler en couinant. Contrairement aux trois autres qui étaient plongés dans un sommeil des plus profonds.

Soudain, on entendit en gros craquement. Malya prit peur. Ce n'était que le début de l'automne, à peine quelques feuilles était tombées, ce n'était pas possible qu'une branche s'écroule à ce stade de la saison. Elle tenta tant bien que mal de faire taire Carotty, mais c'était en vain. Elle entendit d'autres craquements. Des bruits qui s'approchaient de plus en plus. Elle commençait à paniquer, elle se sentait en danger et craignait plus que tout que la sécurité de ses bébés soit compromise. Elle analysa les sons. Ce n'était pas les pas légers des lapins, ni des pies farceuses. Elle ne reconnut pas le résonnement bref de la démarche des sangliers ou des chevreuils. Elle réfléchit, procédant par élimination. Les bruits se rapprochaient encore et son cerveau travaillait de plus bel. Quand soudain, éclair dans son esprit, elle sut. C'était le prédateur. Celui que nul ne peut vaincre à part lui-même. L'homme.

Elle ne savait pas combien il pouvait y en avoir. Mais après avoir fait taire sa fille, elle écouta la provenance des sons avec plus d'attention. Elle comprit alors qu'elle était cernée. Les hommes entouraient le grand arbre creux. Sortir avec les petits serait de la folie. Alors Malya ne bougea plus, força Carotty à faire de même, et attendit. Il ne se passa rien. Un silence angoissant avait envahi la forêt. Elle ne relâcha pas sa garde pour autant et, après quelques instants, elle sentit une légère brise lui caresser le museaux. Le courant d'air traversa le feuillage qui se mit à chantonner la mélodie du vent en se dandinant. Carotty accompagna la musique de ses gémissements. Mais c'est au même moment que Malya se rendit compte que les hommes l'avait entendue !

À partir de là, tout s'est passé en à peine une dizaine de seconde. Malya n'eût même pas le temps de comprendre la situation. Les hommes arachèrent les épaisses écorces de l'arbre et découvrirent une petite famille de renards. Sans plus attendre, ils neutralisèrent la pauvre mère qui ne put se défendre. Ils la séparèrent de ses renardeaux et la mirent en cage. Quant aux petits, ils ont pris le soin de les ranger dans une boîte en carton, dans lequel était posé un petit coussin pour que les bébés dorment et n'attrapent pas froid. Ils embarquèrent, entassèrent les paquets à l'arrière de la camionnette, et démarèrent le moteur.

Cette nuit d'automne, l'arbre creux avait été vidé de sa vie. Privé de l'amour de cette petite famille qui n'eut malheureusement été unie que quelques heures. Et cette légère brise qui s'entremêlait aux branches, racontait sur son passage l'histoire de cette union éphémère tandis que le feuillage poursuivait sa mélodie, chantant à cet amour éternel.

• À suivre...

Cette nuit d'automneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant